L’homme en carton
Au Mouffetard, théâtre consacré aux arts de la marionnette et à la débrouille façon Michel Gondry, l’artiste Julien Mellano est comme chez lui. Il y présente trois spectacles jusqu’au 15 avril et nous avons vu le premier d’entre eux, Ersatz, un régal d’inventivité et d’absurde autour d’un thème d’actualité : le transhumanisme.

A partir de quand, l’homme a-t-il décidé (mais l’a-t-il seulement décidé) de se transformer, petit à petit ? Depuis qu’il a su manipuler et fabriquer des outils ? Depuis qu’il a pu agir sur sa santé et son espérance de vie ? Porter des lunettes, des appareils auditifs ou autres prothèses plus ou moins bioniques, fait-il déjà de nous des transhumanistes ? Ou plus près de nous, est-ce l’apparition des téléphones portables, d’Internet, de l’intelligence artificielle, des ordinateurs, du numérique, qui nous fait muter, peu à peu en un humain 2.0 ? Dans une société ultra connectée, ne sommes-nous pas justement en train de perdre le contact les uns avec les autres ? Autant de questions sous-jacentes que Julien Mellano décline dans son nouveau spectacle, Ersatz où il incarne un personnage dont on ignore (et ignorera jusqu’au bout) s’il est un être humain avec une réalité augmentée, ou un robot reproduisant de manière crédible l’apparence d’un homme. Un peu comme l’androïde Bishop dans la saga Alien ou les robots de Westworld. Devant et derrière lui, un décor composé d’écrans lumineux et cliniques. Dans sa bouche, un micro qui décuple chaque son qu’il produit (de ses clignements d’yeux à sa déglutition), produisant un effet aussi inquiétant que drôlatique, comme le faisait Tati. Peu à peu, l’homme-robot va se saisir d’objets qui représent des ersatz de ce que nous utilisons au quotidien : ordinateur portable en carton, cerveau tricoté… dont il va tirer la substantifique moelle pour tenter de s’humaniser à son tour.
Avec en en toile de fond la référence de 2001 l’Odyssée de l’espace, Ersatz ne peut pas laisser indifférent. Il peut toutefois déranger par l’absence d’émotion montrée par le personnage incarné avec la froideur désabusée de Julien Mellano, à la méticulosité impressionnante (il faut voir ce qu’il fait de chaque accessoire au double sens trompeur). Mais il émeut aussi, quand il nous montre que peu à peu, nous nous transformons à notre tour en cette sorte de nous-même en mieux. Ou en pire. Le progrès est-il l’ennemi du bien ? Peut-être. Ou peut-être pas. Ce qui n’empêche pas de sourire tout de même. Et de profiter d’une heure de spectacle onirique et esthétique qui décuple les sens…
Ersatz au Mouffetard, 73 rue Mouffetard 75005. Jusqu’au 8 avril. Du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 17h.