
Catherine Taret est l’auteur du livre Il n’est jamais trop tard pour éclore paru aux éditions Flammarion. Le sujet ? Les “late bloomers”… Comprendre : ceux qui “réussissent” tard. En anglais littéral : « à floraison tardive ». Le late bloomer est une personnalité qui révèle tout son potentiel à la maturité. Catherine Taret a eu envie de creuser la question et après un talk réussi, elle écrit son livre dont voici la présentation :
Il y a deux ans, comme le font les gens raisonnables quand ils sont au fond du trou, j’ai consulté une voyante qui m’a fait cette surprenante révélation : Il ne faut pas vous inquiéter, vous êtes une late bloomer, tout va vous arriver plus tard dans la vie ! Selon elle, je n’avais rien raté, je prenais juste mon temps. J’étais en train de grandir, de m’enrichir, de pousser comme une plante en milieu de saison. Et surtout, un jour, c’est sûr, le sens allait se révéler à moi. J’ai retroussé mes manches, j’ai creusé pour déterrer les peurs, les croyances et les injonctions qui m’empêchaient d’avancer, j’ai semé les nouvelles graines qui allaient me faire éclore. Il n’y a ni âge, ni sexe, ni origine, ni taille, ni poids pour être late bloomer… C’est la beauté de cette aventure.
J’ai eu la chance de rencontrer Catherine pour lui poser quelques questions sur ce sujet qui m’intéressait beaucoup…
Catherine tu es la spécialiste des « late bloomers ». Tu en as même fait un talk et plus récemment un livre. Est ce que tu pourrais nous définir simplement ce terme, afin de nous expliquer de quoi il s’agit ?
J’aime bien cette expression, car elle n’a pas d’équivalent en français. En anglais, cela veut dire « à floraison tardive » et cela lui donne un côté poétique et naturel. C’est pour cela que je l’ai adoptée, elle m’a tout de suite parlé quand je l’ai entendue. Il s’agit des gens qui se réalisent, « fleurissent », plus tard dans la vie, tout simplement !
Pourquoi cela t’a t-il tant intéressée ? Tu te sentais en décalage et tu t’es reconnue en découvrant ça ? Est-ce que cela t’a “soulagée” ?
Oui ! L’ironie est que je suis franco-américaine par ma mère et c’est une expression que j’ai toujours entendue, mais elle ne m’était jamais “arrivée” jusqu’au cerveau. Un jour, alors que j’étais un peu au fond du trou parce que je ne trouvais pas ma voie et que je tournais en rond dans ma vie, je suis allée voir une voyante qui m’a dit : « Il ne faut pas vous inquiéter vous êtes une late bloomer ! Tout va vous arriver plus tard dans la vie ». Elle m’a dit même à cinquante, soixante, soixante-dix ans. Je me suis dit « Cool ce n’est pas maintenant, c’est plus tard ! », ça m’a soulagée et tout de suite, j’ai pensé « Là il y a un truc, c’est un discours qui est super positif et… que l’on entend jamais ! ». Et c’est ainsi que je me suis intéressée aux late bloomers…
C’était une forme de déclic ?
C’était complètement un déclic !
Donc cette histoire de voyante, ce n’était pas romancé pour la présentation du livre ?
Non, c’est vrai ! Elle s’appelle Rosine et je lui ai envoyé mon livre, ça l’a fait rire. C’est grâce à elle que je l’ai écrit ! Elle m’a vraiment mise sur la voie…
D’autant qu’il y a plein d’exemples de late bloomers célèbres, des artistes notamment…
Absolument il y a beaucoup d’artistes ! C’est intéressant concernant les artistes, car leur travail est lié à leur maturité… Mais il y a aussi des gens dans d’autres professions également. Il est important de se dire qu’il n’y a pas vraiment d’âge : il y a beaucoup de gens qui sont concernés autour de la quarantaine, mais j’ai des personnes très jeunes qui m’ont écrit… Cette idée de se dire qu’on peut avoir plusieurs vies, que l’on peut « éclore » plusieurs fois et plus tard dans sa vie, est valable pour tous. Mon grand-père est devenu pasteur quand il avait plus de quarante-cinq ans ! Il était ingénieur et c’est à quarante-quatre ans qu’il s’est dit qu’il voulait aller au séminaire.
Notre époque est beaucoup liée au jeunisme, il faut faire les choses vite… Pourtant je pense à l’artiste japonais Hokusai qui a dit « Il faut tout jeter tout ce que j’ai fait avant mes soixante-dix ans » ! De la même manière on ne voit pas Cervantès écrire Don Quichotte à vingt ans par exemple, lui qui l’a écrit à 59 ans…
C’est ce qui est compliqué aujourd’hui, notamment à cause du digital, on a énormément d’outils : si tu veux t’épanouir professionnellement (et personnellement), tout est à ta disposition. Tu crées une boite, tu crées une page Facebook, si tu veux trouver l’amour tu peux t’inscrire sur des sites dédiés et tu as trois “dates” dans la semaine… On a tendance à se dire « Si je n’y arrive pas avec tout ça, c’est que je suis un looser en fait ».
Heureusement une nouvelle “mouvance” tend enfin à s’installer en France : le « slow », une autre façon de faire qui n’est pas moins bien. Est-ce qu’avec ton livre, tu as voulu rassurer les autres, tel que toi tu as pu te sentir rassurée ? Tu penses qu’il peut faire du bien ?
J’ai toujours eu envie d’écrire un livre et mener ce projet à bien, était une façon de me réaliser en allant de l’envie à son terme. Et je ne l’aurais pas écrit si je n’avais pas senti lors de mes conférences, d’autres gens connectés au sujet. Cela a été très important pour moi de faire ça, d’avoir des discussions avec des gens… Je me suis dit « Ok je ressens ça… mais il y a plein d’autres gens qui ressentent ça aussi ! ». C’est ce qui m’a boostée. J’ai emprunté un format de livre très anglo-saxon qui est de partager une expérience personnelle et d’essayer d’en faire quelque chose « d’universel ». Ma sœur est journaliste et me conseillait d’écrire un livre d’enquête… Mais je n’y arrivais pas, cela ne me parlait pas et je ne trouvais pas ça assez fort, alors que partager mon expérience l’était beaucoup plus.
Partir du personnel pour toucher l’universel… c’est Chaplin qui disait ça !
Les personnes qui m’écrivent me disent souvent qu’elles se sont reconnues dans plein de choses et du coup c’est très intéressant, car elles “s’autorisent”… Ca libère la parole ! J’ai libéré la mienne du coup et ça libère celle des autres. Elles partagent vraiment beaucoup de choses, des questionnements, des galères. Il y a un cercle vertueux qui se met en place.
Pour ma part, ça m’a parlé tout de suite ! J’ai trouvé cela très inspirant… J’ai pensé au film Zorba le grec que j’adore -interprété par Anthony Quinn- et qui évoque à un moment l’âge qui n’est pas un problème, tant que subsiste “la flamme dans les yeux” … Bon certes c’est une réplique de film et en réalité, toi tu as franchi ces barrières dont tu parles, pour te construire petit à petit. On a plutôt l’habitude t’entendre qu’en vieillissant on a tendance à se renfrogner, à alimenter ses névroses, plutôt qu’au contraire à s’en libérer… Ce qui est intéressant, c’est que pour toi, c’est le processus inverse. Tu proposes de jeter ces habitudes, d’aller à contre-courant de ça…
J’ai fait beaucoup de développement personnel, car je ne savais pas quoi faire de ma vie, j’étais paumée, je pensais que j’avais des blocages. J’ai commencé à vingt-neuf ans. J’ai appris, j’ai déconstruit ma vision de la vie, j’ai déconstruit l’idée d’un certain schéma familial et arrêter de me dire que la vie pouvait être “dark”. J’ai beaucoup adhéré au discours des gens qui parlent de la vie comme d’une progression constante. Alors oui, en effet, tu es moins en forme physiquement quand tu as soixante-dix que vingt ans, on est tous d’accord… Mais il y a beaucoup plus de dimension à la vie que ça ! Du coup c’est plutôt inversé, ça me plaît beaucoup comme idée. C’est d’ailleurs un choix de penser comme ça et je ne comprends même pas pourquoi cela n’est pas une évidence pour tous.
Nous sommes dans une société qui est très dure avec les gens qui vieillissent, on est senior à quarante-cinq ans ! Tu imagines dans une entreprise… Je ne sais pas la part de la pression sociale et la part de la réalité physiologique, mais j’ai plutôt l’impression que c’est la pression sociale qui fait qu’on se dit « Il est trop tard pour moi je n’y arriverai pas, je ne trouverai pas l’amour, je ne trouverai jamais de boulot après cinquante ans ». Effectivement il y a des réalités économiques, mais je remarque toujours qu’il y a des gens qui sont libérés de ça, et ça à l’air de mieux marcher pour eux.
C’est le développement personnel qui m’a menée à ça, j’ai vraiment déboulonné des croyances. Je me suis rendue compte que j’avais des idées reçues et des peurs que j’ai identifiées. Et j’en ai pas mal nettoyé, avec vraiment l’idée en tête de me libérer de ça, et la perspective de me dire « Toute ma vie, je vais faire des trucs très intéressants ».
Ceci dit, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de jeunes qui ont des blocages, je ne sais pas si ça s’empire en vieillissant, mais je trouve qu’il y a beaucoup de peurs, notamment à cause de cette pression de la société, j’imagine…
Du coup tous ces rendez-vous manqués, tous ces « ratages », est-ce qu’aujourd’hui, tu peux te dire «C’était très bien ainsi», puisque ton rendez-vous était ici et maintenant “hic et nunc” avec ce livre ?
Parfois je me dis que j’ai vécu tout ça, que j’ai transformé une expérience qui n’était pas toujours facile -comme je dis dans le livre « traversé des nuits noires »– en quelque chose de positif, un livre même : je ne savais pas que j’étais capable de faire ça, c’est vraiment en le faisant que j’ai réussi et c’est ma grande fierté. C’est intime, je me dis qu’à tout moment tu as des trucs comme ça à gérer, tu peux avoir plein d’autres phases et c’est comme ça que tu « bloomes » (rires)
C’est un livre qu’on peut lire de façon fragmentée, y revenir, etc… Il y a quelque chose de très poétique dans ce livre en lui-même. Est-ce une volonté qu’il soit davantage présenté comme une “douceur” plutôt qu’un éventuel et énième guide ?
Je voulais qu’il soit le reflet de mon cerveau, montrer l’accès à un univers et je trouvais ça intéressant de partager ce monde, même si celui de chacun est différent. C’est le côté expérience personnelle. Je pense un chouia de « Je ne suis pas un écrivain ! ». Il y avait une envie de désacraliser le livre…
Il est à la frontière de plusieurs types d’ouvrages… Mais c’est bien ça qui en fait un objet inclassable…
C’est exactement ce que dit mon éditeur : c’est un ovni, il ne sait pas comment le présenter (rires). Je ne l’ai pas vraiment pensé comme tel, je l’ai écrit instinctivement et je suis très contente de ce résultat. Du coup il a sa forme, sa vie…
Artistique aussi et un peu journal intime…
En l’écrivant j’ai eu envie de mettre une idée sous-jacente, car j’avais un souci avec l’idée de me pas me sentir « créative », injonction que j’entends souvent. Et j’ai eu envie de montrer toute la poésie qui nous habite et la ressource de créativité qu’on a chacun, sans le besoin d’être Picasso. Pour moi la créativité, c’est la vie, ton regard unique sur les choses. Et du coup, j’avais envie de montrer qu’au fil des années, j’ai été chercher de ce côté-là de ma vie et ça m’a donné le courage finalement de faire le livre. L’idée peut paraître « Bisounours » mais c’est tellement important !
Haha ce n’est pas Bisounours, je te rejoins complètement ! Et puis dans le même genre, comme disait Prévert, “Essayons d’être heureux ne serait-ce que pour montrer l’exemple” ça devrait être prescrit ;) Merci beaucoup Catherine !
Petit bonus de ma part pour poursuivre dans ce même thème :
- Le poème de Samuel Ullman “La jeunesse est un état d’esprit”
- Les TOP 10 late bloomers (par One Minute Projet)
- Et enfin ce tableau de Gilbert Garcin (Gilbert Garcin qui a émergé dans le monde la photo à plus de 60 ans !) :
