Charlotte for ever
Adaptation puissante de l’œuvre de Doug Wright, Ich bin Charlotte suit l’histoire d’un travesti qui a traversé les années sombres de l’Allemagne sans être inquiété. Un spectacle fort servi par un Thierry Lopez investi.
Au commencement était une histoire vraie, celle de Charlotte von Mahlsdorf, née Lothar Berfelde, l’une des personnalités transgenres les plus emblématiques d’Allemagne. Elle grandit avec un père nazi dans un Berlin du Troisième Reich nauséabond, qui la conduit à se travestir dès l’âge de 16 ans, pour résister et s’affirmer réellement. Elle réchappe à la guerre, mais aussi au régime communiste de la RDA, pourtant réputée peu tolérante envers les homosexuels. Les travestis, n’en parlons pas. Et pourtant, Charlotte est toujours là, avec sa robe de deuil perpétuel et son collier de perles. Elle emménage dans un manoir en ruines qu’elle retape et transforme en musée de meubles et objets du XIXe siècle. Décorée de la Croix fédérale du Mérite en 1992, elle part s’installer en Suède où elle ouvre un nouveau musée, plus petit. Un exil volontaire qui ne lui fera jamais oublier l’Allemagne, où elle décèdera lors d’un voyage en 2002.

Une vie bien remplie et toute en ambiguïtés (homme ou femme ? Victime ou bourreau ? Résistante ou espionne ?) qui a suscité de nombreuses œuvres (pièces, films…), jusqu’à celle de Doug Wright, fasciné, qui a obtenu Prix Pulitzer et Tony Awards avec I am my own wife, dont Ich bin Charlotte est ici une adaptation. On y suit la découverte du musée de Charlotte par deux Américains, dont l’un d’entre eux décide d’en savoir plus sur cet incroyable personnage qui a su traverser les années sans être inquiété. Charlotte lui raconte alors son histoire, avec ses éclats joyeux et ses recoins moins reluisants.

Entre deux moments de danse façon cabaret clandestin pour s’amuser et se désinhiber pendant que pleuvent les bombes, entre deux visites de ce cabinet de curiosités dont l’instigatrice en est le joyau, Steve Suissa propose une mise en scène inventive et percutante, ne versant jamais dans un pathos de pacotille, ne jugeant jamais son personnage dont les desseins resteront siens. Entre grandeur et décadence, subtilité et grandiloquence, Thierry Lopez incarne cette Charlotte en talons aiguille qui ne se dépare jamais de sa bonne humeur derrière l’œillade chagrine.

Succès au dernier festival d’Avignon, le spectacle est un bijou grâce à sa prestation habitée, non pas seulement de Charlotte, mais aussi de toutes celles et ceux qui ont gravité autour d’elles, réels ou imaginaires. Une prestation que l’on n’est pas prêt d’oublier et qui mériterait d’être conservée… dans un musée !
Ich bin Charlotte, du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h. Au Théâtre de Poche Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse, 75006 Paris
Je regrette de ne pas l’avoir vu à Avignon!