Ce fut notre spectacle coup de cœur lors du dernier festival off d’Avignon. Le seule en scène T’es toi ! de et avec Eva Rami est une bulle enchantée qui retrace le parcours d’une future comédienne depuis ses premiers cours à ses premiers castings. La jeune femme incarne un double d’elle-même et une dizaine d’autres personnages (famille, professeurs de théâtre, directrice de casting, réalisateur débordé…) avec une facilité déconcertante, humour et poésie. T’es toi ! est actuellement au théâtre de la Huchette, lieu emblématique dédié à Eugène Ionesco qui ne serait pas peu fier qu’un tel spectacle succède à ses pièces. Rencontre avec une autrice et comédienne pétillante et pleine d’avenir.
Comment décide-t-on d’écrire un seule en scène ?
J’ai toujours voulu faire ça. J’en parle justement dans T’es toi !, mais Elie Kakou est mon premier amour de théâtre. C’était un transformiste, capable de jouer les hommes et les femmes, de faire du stand up et de partir vers de l’absurde… Ca a été une révélation. J’ai commencé par faire du café-théâtre avant de tenter le conservatoire de théâtre de Nice, tout en faisant des études de droit pour faire plaisir à mon père. Mais il me fallait trouver ma place. J’ai passé les concours de grandes écoles, j’ai réussi la dernière, l’ESAD, pendant trois ans et comme j’aimais la formation, j’en ai fait une autre, au cycle 2 du Conservatoire de Paris. Et dans ce cycle, il fallait mener un projet à bien. Je me suis dit que j’avais alors enfin un cadre pour me lancer dans l’écriture et tenter de faire un seule en scène, né de la frustration de ne pas jouer ce que j’avais envie de jouer et de parler de choses qui me touchaient. Ma grand-mère était partie et j’avais envie qu’elle m’accompagne sur scène, qu’elle ne me lâche pas, je voulais lui rendre hommage. Et c’est aussi une forme de liberté d’être seule sur scène, ça m’éclate. Je peux changer des choses ici ou là sans rien demander à personne, je suis au service de mon propre désir. Et si je tiens seule sur scène, c’est aussi parce que je joue à côté avec des équipes : j’ai également l’esprit de troupe.
Quel est rôle de l’écriture dans votre vie ?
C’est un exutoire, un confident, une thérapie… C’est salvateur. J’écris depuis que je suis enfant, je tiens un journal intime où j’écris des pensées, des choses absurdes qui m’arrivent… Nos souvenirs, c’est ce qui nous construit. Pour les hyperactifs comme moi, écrire permet de poser des choses, d’ordonner sa pensée. Quand j’ai écrit mon premier seule en scène, Vole !, j’avais presque envie de m’arrêter là, tant j’avais l’impression d’avoir tout dit. Mais ça ne s’arrêtait pas là, il fallait trouver un metteur en scène pour que ce texte puisse vivre.
Dans T’es toi !, le personnage s’appelle Elsa Ravi. C’est plus facile d’écrire sur un double de soi ?
Au début, c’était mon vrai nom, mais c’est mon metteur en scène, Marc Ernotte qui m’a demandé de changer. Car ce n’est pas du stand up, il fallait apporter de la fiction, aller ailleurs. Je voulais être fidèle à la réalité, mais il y avait de la pudeur, je n’arrivais pas à m’amuser. Je suis du coup partie à l’opposé pour certaines choses, comme le personnage de mes parents qui sont aux antipodes de ce qu’ils sont dans la vie. Un double de fiction est donc indispensable.
Comment ont réagi vos parents justement ?
Ce sont des personnes rares, extrêmement importantes pour moi. On a vécu des tempêtes, mais on est très soudés, on est très proches. Ma mère a suivi le processus d’écriture, mon père m’a fait confiance. A la première de T’es toi !, au Théâtre national de Nice, il n’a pas su exprimer les mots, mais je sais qu’il était fier et bouleversé. Ma mère, elle, ne s’est pas du tout reconnue. Mais ils savent tous deux que ce n’est que de l’amour.
C’est de toute façon un spectacle universel…
J’ai essayé d’aller de l’intime à l’universel, je ne fais pas ce spectacle pour une seule catégorie de personnes. Je parle du personnel, car c’est ce que je connais le mieux, mais c’est comme un sablier, tu pars du petit pour aller vers le plus grand. J’ai la chance d’être entourée de gens qui croient en moi et qui m’ont dit que tout le monde allait se reconnaître dedans, même si on n’est pas de ce milieu du théâtre. La plus belle chose qu’on puisse me dire, c’est ça : qu’on se reconnaît dans ce que j’ai écrit. Dans la vie, il faut communiquer, transmettre et si je peux être le vecteur de ça avec ce spectacle, c’est formidable.
Le spectacle commence et se termine avec une araignée. Quelle symbolique a-t-elle pour vous ?
En Italie, c’est sacré, on n’y touche pas. Pour ce spectacle, quand je l’écrivais, j’étais chez ma tante, à la montagne et il y avait beaucoup de grosses araignées là-bas. J’avais des montées d’angoisse quand je devais aller aux toilettes ou à la salle de bain. Et je suis allée chez une voisine de ma tante, chez qui j’ai pris un livre au hasard dans sa bibliothèque et je suis tombée sur un livre portant sur la culture indienne. Et dans l’une des pages, on y parlait de l’araignée, symbole à la fois de la grand-mère, de la création et de la féminité. Tout se recoupait ! Et j’ai changé mon point de vue d’humaine phobique. Et il y a aussi cette idée de réseau, de toile, c’est très important dans mon métier.
La scène en un mot…
Vitale. Premier mot qui vient sans y réfléchir. Vibrante. Vitalement vibrante !
Vous jouez autant des seules en scène que des pièces avec des troupes. Une préférence particulière ?
J’aime le groupe, je m’éclate à jouer avec une troupe, j’aime la fraternité, la sororité. Je suis fille unique, j’aime donc aller vers des familles. J’aime l’humain, rencontrer, le groupe est vital. Le seule en scène, c’est plus en termes de liberté que j’aime tendre vers ça aussi. Il y a des moments qu’on aime avoir pour soi. C’est un challenge vertigineux, un shoot d’adrénaline.
Que représente Paris pour vous ?
C’était un rêve de gosse. Ce que je suis en train de vivre en ce moment que d’habiter à Paris, y jouer un spectacle qui parle de suivre ses rêves, de s’émanciper, c’est magique. Je voulais ce luxe-là que de rentrer à la maison après avoir joué, d’avoir cette régularité. Ca fait 12 ans que je vis à Paris. Et en ce moment, je joue dans un endroit incroyable, à La Huchette, où Jacqueline Maillan, Belmondo et Trintignant sont passés par là. Franck Desmedt, son directeur, avait adoré mes spectacles qu’il avait vus à Avignon, il croit en moi et avait envie de m’aider. Il y a eu un vrai feeling entre nous. Un bel alignement des planètes. Les choses arrivent si elles doivent arriver.
Votre Panthéon artistique ?
Il y en a tellement et qui n’ont rien à voir les uns des autres ! Il y a Philippe Caubère, maître à suivre dans sa virtuosité qu’il a de passer d’un personnage à l’autre. J’adore l’univers de Joël Pommerat, Guillaume Vincent, David Lescot, Xavier Gallais, Thomas Ostermeyer, Vincent Dedienne, Angélica Liddell, Peter Brook… J’aime tous les styles du spectacle vivant, sous quelque forme que ce soit… Tout est nourriture.
Quels sont vos projets ?
Avec la Compagnie Nova, on travaille sur un spectacle sur les mémoires de la Guerre d’Algérie, Et le cœur fume encore qui tourne un peu partout et on va créer un nouveau spectacle ensemble, autour de la banlieue. Et je travaille aussi avec la Compagnie de l’Eternel Eté. J’écris aussi tranquillement un troisième seule en scène. Je n’irai pas forcément là où on m’attend en tout cas.
Merci Eva !
T’es toi !, au Théâtre de La Huchette, 23 rue de La Huchette 75005 Paris.
Du mardi au samedi à 21h, jusqu’au 9 mai.
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