En cette période de confinement, mon ami Rodolphe Trouilleux -qui vient de rejoindre le blog Fille de Paname- et que vous retrouvez tous les jours sur le blog avec son journal imaginaire : « Journal d’un vieux confiné » vous offre cette nouvelle : “Paris… J’aime, tu aimes… Nous nous aimons”.
Rodolphe Trouilleux Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, etc, les surprises sont souvent au rendez-vous et c’est un plaisir de les partager.
Paris… J’aime, tu aimes… Nous nous aimons
-première partie-
Le mail que vous m’avez envoyé un fameux soir de l’année dernière était touchant de sincérité. Il commençait ainsi : « Monsieur, sur les conseils de M. Granger, conservateur à la bibliothèque des amis de l’Instruction, je vous adresse ce message, souhaitant obtenir auprès de vous une entrevue particulière. Je suis étudiant en histoire à Paris-Sorbonne et prépare pour la fin de l’année prochaine une maîtrise dont le sujet est la réunion d’une documentation sur l’artiste mécanicien Adam Desnoyers… » Et ainsi de suite…
Vous-vous adressiez à moi dans l’espoir d’obtenir quelques conseils, des pistes de recherche vous permettant de pousser plus loin ce travail qui s’avérait, au premier abord, bien ingrat.
Nous-nous sommes alors rencontré dans ce fameux café de « L’écritoire », place de la Sorbonne, qui a vu défiler des générations d’étudiants et de profs affairés et soiffards.
Je n’avais pas d’œillet à la boutonnière mais vous m’avez reconnu tout de suite, par la magie d’internet et des réseaux sociaux…
Vous aviez – tu avais, puisque une amicale familiarité s’est depuis instaurée entre nous – l’allure d’un étudiant classique et sympathique, des cheveux bruns et courts, des lunettes vertes et un curieux pantalon à carreaux dont j’aurais bien aimé connaître l’origine. Un parfait petit intello, gentil et respectueux – très, trop peut-être – des reflets gris de ma chevelure.
Tu as pris une pinte de bière, moi un café, et tu t’es présenté d’une façon bien originale, en me lisant une sorte de curriculum vitae rédigé par tes soins. Tout y passait, ta famille, ton âge, tes goûts pour les sports de combat et les prénoms, nombreux, de tes petites amies. Tu m’avais tellement fait rire en lisant ces deux pages que, parvenu à la fin, j’étais conquis.
Et comme les jeunes gens mangent, et ont parfois plus faim que les vieux, je t’ai ensuite invité dans un restaurant de ma connaissance. En chemin, je me suis, à mon tour, présenté, mais d’une manière beaucoup moins drôle que la tienne. Tu ne disais mot, souriant ou acquiesçant à mes propos.
Après avoir, au restaurant, lu la carte et choisi quelques mets aussi savoureux que roboratifs, notre conversation s’orienta vers ton fameux sujet de maîtrise, Adam Desnoyers, artiste mécanicien…
Et là, j’ai constaté bien vite que ce sujet ne te passionnait pas et que, bien au contraire, il t’ennuyait profondément. « Que voulez-vous que je trouve sur un bonhomme pareil » m’as-tu dit en baissant les épaules et la tête, et en poursuivant : « si au moins il était un peu drôle ou original… »
Malheureusement, le sieur Desnoyers ne semblait pas doté d’une personnalité bien attachante. Mécanicien avant toute chose, il avait passé sa vie à améliorer ou inventer quelques systèmes utiles à l’industrie. Célibataire, et mort assez jeune, il n’avait pas, de plus, laissé beaucoup de traces écrites derrière lui.
C’était bien décourageant… Pour ne pas te décevoir, j’entrepris alors de te donner quelques orientations de recherche, sans garantie de résultat et, comme un élève consciencieux, tu les nota dans un petit cahier sorti de ton sac.
– Monsieur Granger m’a dit que vous étiez quelqu’un de très compétent, et que vous aviez réussi des travaux historiques que de nombreux chercheurs avaient abandonné avant vous, faute d’avoir découvert des documents inédits et significatifs. Il m’a dit aussi que vous aviez un secret, quelque chose comme une martingale historique.
Un secret ? Une martingale ? Tu n’avais pas compris que le bon Granger te menait en bateau, comme le blagueur qu’il ne pouvait s’empêcher d’être…
– Moi j’aime Paris…
– Hein?
– Oui, tu sais, moi j’aime Paris… Comme un fou, comme un affreux bonhomme de province qui croyait avoir tout compris…
Nous étions complètement ivres, les pieds dans l’eau de la Fontaine Saint Michel. Une bouteille de Talisker partagée sans modération et, plantés aux becs, de petits cigares rares et fins du Honduras.
– Tu viens de quel bled ?
– Moi je suis un petit gars de la Sarthe, Saint Calais que ça s’appelle ; la patrie
des chaussons aux pommes.
– C’est dans quel coin ? Près de quelle grande ville ?
– La Ferté Bernard, si tu veux bien appeler ça une grande ville…
– Et alors ?
– Et alors Saint Calais c’est pour les vieux, amateurs de télé, de camomille et
de coucher avec les poules. Pas vraiment la joie pour les jeunes. J’te dis pas
l’ angoisse…
Il tenait bien l’alcool mais il était vraiment plus éméché que moi, rigolant pour un rien. Toutes les barrières, bien fragiles, qui existaient entre nous s’étaient effondrées. Pour l’un comme pour l’autre, nous étions devenus deux gars du même âge, qui se racontaient leurs vies et déconnaient de plus en plus.
Puis la bouteille fut vide. Il l’attrapa, la considéra, et soudain, me caressa la joue en pleurant :
– Vide ! Tu te rends compte : vide ! Comme c’est triste.
Et il s’effondra, en larmes, comme un gamin, la tête posée sur mon épaule. C’était tellement inattendu que je me suis mis aussi à pleurer comme une madeleine.
À suivre sur le blog Fille de Paname
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