Avec leur nouvelle création, Les Moutons Noirs revisitent à leur manière le drame du Titanic, 110 ans après les faits. La comédie Titanic, la folle traversée au théâtre de la Renaissance, évite un naufrage qui aurait pu lui tendre les flots, grâce à un savant mélange des genres et une immersion complète dès l’entrée dans la salle. Spectacle, droit devant !
Des naufrages de navires, il y en a eu, de tous temps. Depuis que l’Homme s’est décidé de naviguer et de partir à l’aventure et à la découverte de nouvelles contrées. Mais le plus célèbre d’entre eux n’a « que » 110 ans. Celui du Titanic, réputé insubmersible, symbole outrancier de la vanité industrielle et du luxe écrasant, qui s’est fracassé contre un iceberg, en emportant avec lui plus de 1 500 passagers et membres d’équipage. Très vite, le bateau est devenu un phénomène culturel : un premier film dès 1912, suivi de plusieurs dizaines d’autres (dont le fameux signé James Cameron, nous y reviendrons), des romans, des bandes dessinées, des jeux vidéo et des pièces de théâtre. Dont ce Titanic, la folle traversée, créé par Les Moutons Noirs à qui l’on doit déjà nombre d’adaptations loufoques et originales, telles Cyrano(s), Macbeth, titre provisoire ou encore Ruy Blas ou la folie des Moutons Noirs.
Pour ce spectacle, les petits plats semblent avoir été mis dans les grands, alors qu’il ne s’agit que d’une subtile diversion. Devant le théâtre, nous attendent certains des comédiens, déjà en costumes, déjà dans leur rôle, nous invectivant comme des passagers prêts à monter à bord du Titanic. De l’accueil à la salle de théâtre, tout est prévu pour nous donner l’impression que nous y sommes pour de vrai : personnel déguisé en mousses, espaces entièrement décorés de valises, facs-similés d’époque, éléments de bateau… Jusqu’à ce que le spectacle commence, on a déjà fait connaissance avec chaque personnage dont on attend avec impatience qu’ils embarquent à leur tour. Le rideau fermé, cette entrée en matière promet de la magnificence, d’autant que nous restent en tête les images du film de 1997. Il ne manquerait plus que Kate Winslet et Leonardo DiCaprio fassent une apparition pour que l’excitation soit à son comble. Mais quand le rideau se lève… patatras ! Aucun décor ! Rien, ou presque. Les personnages entrent en scène d’un air résolu, emportant avec eux des barres de bastingage qui serviront d’unique symbole pour signifier que nous sommes bel et bien à bord du célèbre navire. L’imaginaire devra faire le reste. Et il le fera.
Pendant plus d’1h40, le spectacle sera une succession de genres totalement différents, l’un chassant l’autre, ou s’enchevêtrant tous ensemble. Tout d’abord, un début en comédie musicale, avec une première scène de présentation chantée des personnages (dont la fameuse Molly Brown qui a réellement existé, un capitaine fainéant, un homme atrabilaire souhaitant épouser une jeune femme indocile, un prêtre voulant remiser sa soutane, une prostituée parisienne, un groom facétieux…). Cela ne chante pas toujours très juste certes, mais cette douzaine d’artistes en scène au diapason, voilà qui fait son petit effet. Le spectacle se transforme ensuite en comédie pure, alternant moments absurdes, anachroniques, comiques de répétition, mais aussi marivaudages (la scène du mariage avec portes qui claquent) et parodie. Le tout, avec des répliques entièrement en vers ou presque. De nombreux moments cultes du film de Cameron sont ainsi repris jusqu’au thème musical, avec une réécriture des moments les plus emblématiques, de la tentative de suicide de Rose au dîner où Jack est invité, en passant par les danses irlandaises et le croquis de Rose dénudée. Les protagonistes ont simplement changé de prénom, mais la trame du film est reprise peu ou prou, pour le plus grand bonheur des fans.
Toutefois, le dernier quart diffère totalement. Comme si l’auteur, Axel Dhrey, redoutait de déshonorer les victimes du naufrage. Dès que le Titanic percute l’iceberg et s’apprête à couler, le ton se fait soudain dramatique. Nous vivons une tragédie humaine au rythme de l’orchestre qui continue de jouer coûte que coûte et le spectacle s’offre même une scène de danse contemporaine absolument magnifique et désespérée, qui vaut à elle seule le déplacement. La folle traversée se mue en tombeau géant et lorsqu’on nous rappelle le nombre de vies perdues, le silence se fait total. Les spectateurs étant considérés comme des passagers depuis le début, la perspective que seulement un tiers d’entre eux aurait survécu à la fin, fait froid dans le dos. Les Moutons Noirs ont fini de distiller leur folie douce, avec quelques répliques qui tombaient parfois à l’eau. Mais ils ont repêché même les plus réfractaires à leur humour décalé avec ce spectacle imprévisible qui rend hommage au Titanic plutôt qu’il ne s’en moque. Au final, un voyage moins fou que prévu, mais bien plus original…
Titanic, la folle traversée, au théâtre de la Renaissance (20 boulevard Saint-Martin 75010 Paris), du mercredi au samedi à 21h et le samedi également à 16h30.
