Je vous parlais il y a peu du livre « Remèdes à la mélancolie » (tiré de l’émission de radio du même nom) et vous promettais un article entier sur cette émission, ma préférée. Encore mieux , voici l’interview de sa productrice et présentatrice, j’ai nommé : Eva Bester.
Si vous ne connaissez pas encore cette émission Remède à la mélancolie (tous les dimanche à 10h sur France Inter), voici sa présentation rapide : Eva Bester reçoit une personnalité et va lui demander ses remèdes à la mélancolie. Émission loin de l’interview froide et davantage de l’ordre de la discussion intime, Eva va nous faire découvrir ses invités sous un nouveau jour. Sans impudeur mais tout simplement au plus près de leurs goûts artistiques pour une « consolation par les arts » comme elle le dit si bien. Eva me fait penser à Jacques Chancel qui disait de lui-même : À la vérité, si je devais mettre sur ma carte d’identité “profession” je mettrais “passeur”. De la même manière qu’Eva “discute” avec ses invités, j’ai voulu également lui poser des questions de façon moins formelle. Et c’est pour mon plus grand plaisir qu’Eva s’est prêtée au jeu.
Vous êtes à l’origine de l’émission Remède à la Mélancolie tous les dimanches sur France Inter. J’avais envie de faire découvrir cette émission à quelques lecteurs qui ne vous connaissent pas encore et qui vont en avoir la chance !
Avant tout, comment est née l’émission ?
L’émission est née d’une façon très simple. J’avais un projet nocturne que je voulais proposer et sur lequel j’ai travaillé assez longtemps, puis j’ai rédigé assez vite Remède à la mélancolie parce que j’avais de grandes familiarités avec le sujet. Le second projet, sans doute à cause de son universalité, l’a tout de suite emporté.
Vous avez anticipé ma question ! Pour avoir eu cette idée, vous êtes fatalement vous même sensible à la mélancolie…
Je suis quelqu’un de très mélancolique depuis toujours… je ne pense pas qu’il y ait de cause précise à cela, je n’ai pas de souvenir de ne pas l’avoir été un jour ! Mais ça va de pair avec une grande propension à la joie.
C’est très intime la mélancolie et pourtant l’émission reste pudique. Il n’y a pas d’épanchement, l’invité n’est pas sur le divan du psy, loin de là, c’est vraiment “la consolation par les arts” comme vous le dites. Vous y croyez sincèrement à la consolation uniquement par les arts ?
En fait, je ne crois pas à la consolation en général. Je crois en la consolation éphémère, au fait de pouvoir se ménager des petites parenthèses de grâce éphémères ; rien que cela, c’est de l’ordre du miraculeux. La vie est quelque chose de très douloureux. Le titre de Cioran De l’inconvénient d’être né résume tout de façon très élégante, tout comme Sur les cimes du désespoir qui croque assez précisément ce en quoi consiste l’existence. Ces parenthèses temporaires que nous permettent la fréquentation des œuvres d’art nous extraient de nous-même. Je pense que c’est la première condition pour sortir de l’état mélancolique… d’être diverti de soi-même, de s’extraire de soi. Je crois à un allégement de la peine temporaire.
Et oui Eva, comme dit aussi Cioran “Ne nous suicidons pas tout de suite, il reste quelqu’un à décevoir”! (rires). Dans Remède à la mélancolie nous ne sommes pas dans l’interview froide, c’est plus de l’ordre de la discussion… Vous me faites penser à Jacques Chancel qui arrivait à “accoucher” ses invités…
C’est un grand compliment merci beaucoup !
C’est sincère ! Je me suis demandé si vous aviez une forme de méthode avec le temps ou si c’était totalement spontané… Est-ce votre bienveillance qui met naturellement à l’aise ? Est-ce que vous avez déjà réfléchi à tout ça ?
Non, pas vraiment pour tout vous dire ! Mais merci encore pour la comparaison à Jacques Chancel … quand on me demande les personnalités du monde des médias que j’admire il y a vraiment Jacques Chancel et Pierre Dumayet. Et ils sont tous les deux, maintenant que vous le dites, très bienveillants, ce qui pour moi est une condition première à l’interview intimiste. Je suis quelqu’un de très pudique et j’ai énormément de respect pour la vie privée et la pudeur des autres. C’est intime, c’est vrai, puisqu’on parle du rapport à la mélancolie mais ce qui m’intéresse c’est finalement la façon dont les âmes gèrent chacune leur rapport au spleen ; dans un film de science-fiction, on pourrait ne pas dire de qui il s’agit et interroger des esprits vaporeux anonymes !
Une grande spontanéité donc…
Oui absolument ! La radio c’est vraiment le média que je préfère. Quand j’étais petite j’écoutais souvent la radio en cachette et j’avais vraiment l’impression d’être admise dans la conversation. La radio vous fait rentrer dans une intimité immédiatement. C’est ce que j’espère faire, une sorte de déjeuner informel où l’on s’échangerait des conseils de divertissement enrichissants…qu’on peut partager avec le plus grand nombre ! J’ai ça en tête pendant toutes les interviews, c’est une dimension importante pour moi.
Ça se ressent vraiment, c’est très généreux et … pas snob, c’est ça qui est super dans cette émission !
Ça me touche vraiment beaucoup.
C’est ce qui fait la force de cette émission à mon goût ! Si on ne connait pas telle référence, tel livre et cetera, on ne sent pas idiot pour autant. Au contraire, on a envie d’ouvrir le bouquin et d’y plonger !
C’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire. Quand j’entends des gens qui me disent : “je n’aime pas lire mais quand j’ai entendu parler de ce livre dans l’émission, j’ai eu envie de le lire !”, ça me met en joie. Par exemple, j’ai fait une fac d’anglais, c’était intéressant mais je n’ai pas fait de grandes écoles ou de grec et de latin…enfin je n’ai pas ce bagage culturel qu’ont ces personnes qui ont eu accès à des hautes études. J’ai fait mes humanités à la radio, je suis autodidacte et je me dis que si je suis capable en allant à la bibliothèque d’avoir accès à des choses qui au début m’étaient vraiment inaccessibles… c’est vraiment possible ! J’ai envie de communiquer ce désir de savoir aux auditeurs, c’est important pour moi que ça reste accessible. Mais attention accessible ça ne veut pas dire être moins exigeante ! Si un auditeur me dit “vous employez un mot “compliqué””, je vais l’expliquer mais je ne vais pas changer mon vocabulaire pour autant…Si je parle d’une oeuvre pointue, ça peut arriver, je vais essayer de la rendre accessible également; en revanche je ne vais pas parler que de choses « accessibles » …
Oui accessible ne veut pas dire nivellement par le bas.
Oui, c’est important ! Je pense vraiment qu’un remède à la mélancolie est une élévation et l’élévation est possible pour tout le monde. Il y a des figures philosophiques dont ont parlé certains invités. Au début, je n’avais pas les outils pour accéder à ces figures là…et à force j’ai pu les appréhender. Je suis une élève éternelle et je suis loin d’être incollable sur Heidegger (rires).
Ça ne se sent pas ! En tout cas, vous êtes à chaque fois hyper documentée sur tous les remèdes de vos invités. Je me demandais si avec tout ce que les invités vous donnent à préparer en amont, vous aviez encore le temps de trouver vos propres remèdes ? Ça y est vous ne pouvez plus être mélancolique, vous êtes totalement immunisée ? (rires)
(Rires) J’aimerais bien mais quand je m’approprie les remèdes des invités, je le fais un peu dans une optique laborieuse. Je me fais plus le médiateur de leur remèdes pour les auditeurs. Quand je lis un livre ou quand je regarde un film, j’ai toujours un stylo à la main en réfléchissant à ce que je pourrais apporter à l’émission, quelle question je pourrais poser, ce que je pourrais transmettre aux auditeurs…je ne regarde pas ça comme un divertissement. Je vous rassure donc, je suis tout le temps mélancolique (rires) le seul moment où je ne le suis pas c’est vraiment à l’antenne. Il faudrait que je fasse une émission de 16h et le problème serait sans doute réglé.
C’est vrai que vous avez cette voix solaire en paradoxe total avec ce qu’on attend (dans le cliché évidemment) de la mélancolie avec la voix caverneuse, grave…De la même manière que vos interviews ont un côté joyeux, il y a de l’humour parfois. Je pense que c’est ça qu’on apprécie aussi dans votre émission. Il y a en ce moment cette forme d’injonction au bonheur tandis que vous avez l’air de dire « je suis mélancolique mais on s’en fiche, on en rit !» Il y a une distance qui est plaisante et qui fonctionne bien, vous assumez totalement.
Je pense que ça touche les gens. De ne pas être dans l’injonction au bonheur. Je ne crois pas au bonheur, je crois en la joie fugace.. Peut-être que ça décomplexe un peu. Je me reconnais davantage dans les titres de Cioran que dans ceux de Patrick Sébastien… même si j’aimerais bien l’inverse ! (rires) L’émission touche beaucoup de monde…car tout le monde a une part de mélancolie. Je suis sombre mais j ‘ai une grande aptitude à la joie. Parce que j’ai une urgence de rire. Une urgence de rire qui m’accompagne en permanence !
C’est très joli ! Vous pensez que ce serait dangereux de nier sa mélancolie ?
De la dominer ?
De la refouler par exemple…
De la refouler, je pense oui ! Pendant des années j’ai essayé de la fuir…. C’est très douloureux la mélancolie, il faut quand même le rappeler ! On en fait l’éloge mais c’est quand même très dur …Si je rencontrais un génie qui me proposait de ne plus être mélancolique, j’accepterais tout de suite.
Eva, évidemment j’ai envie de vous demander vos remèdes préférés, à vous.
- Le précurseur de l’absurde russe : Daniil Harms (peut aussi s’écrire Daniil Kharms) ses nouvelles absurdes, dérangeantes. J’en fais un long développement dans le livre.
- Les guides de voyages, les atlas.
- Le film Boulevard du crépuscule de Billy Wilder (un de mes préférés aussi !)
Merci encore infiniment Eva et longue vie à votre émission que j’adore !
Toutes les émissions sont en podcast sur la page de l’émission du site France Inter
Pour retrouver plein de Remèdes à la mélancolie, le livre d’Eva est sorti aux éditions Autrement.
un air d’Audrey Hepburn :)