Journal d’un vieux confiné…Jour 23

En cette période de confinement, mon ami Rodolphe Trouilleux, qui vient de rejoindre le blog vous fait part d’un journal imaginaire : « Journal d’un vieux confiné  »  Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, etc, les surprises sont souvent au rendez-vous et c’est un plaisir de les partager.

 

Vingt-troisième jour de confinerie


C’est la crise au palais, la déroute des valeurs familiales, le Vaterlo du couple. On se cause plus avec Maman, tirage de gueule maximal. Un ennui ne vient jamais seul, alors faut s’attendre au pire. J’avais bien vu que la Divine elle tricotait des mains, qu’elle l’avait nerveuse au niveau des mâchoires. Ses regards fuyants, ses manières de pas y toucher, de me manier comme une petite chose fragile me disait pas grand-chose de bon.

Mais on me la fait pas à moi, j’en ai vu des pires et des pas mûrs et je suis pas arrivé à mon âge pour qu’on me la fasse à l’envers, alors hier soir, quand on s’est couchés, j’y ai posé la question directe, sans repasser par la case départ : – Tu me prépares quoi ? Un truc pas clair ? T’as des problèmes de santé ? Si tu veux me faire un coup de vice déballe maintenant qu’on fasse le tri du bon train de l’ivresse. Alors là elles s’est mise à pleurer ! C’était pas bon signe… Elle s’est mouchée et pis elle m’a lâché le paquet ficelé en direct :- Faut que ma mère on la retire de l’épade des vieux glands, c’est trop dangereux !- Ah oui ? Et pour la mettre où ? – Ben… Ici… Faut que t’aménages le débarras en chambre…Une bien mauvaise soirée ! ça m’a collé la migraine direct ! La vieille à la maison !

C’est presque pire que le virus de la Corona !

Ouais, là, vous qui me lisez, vous dites « t’exagères pépère, t’as pas honte de parler comme ça d’une pauv’ vieille ? »On voit bien que vous la connaissez pas !D’abord, elle est pas pauvre, elle est pleine aux as, mais elle nous a toujours laissés dans le besoin. Elle est vieille, d’accord, mais moi ça fait quarante ans que je la connais, et déjà jeune, c’était une peau de vache !

Je me rappelle le jour des présentations, quand Maman elle m’a emmené voir ses parents pour le gigot du dimanche. Dans un coin de la salle à manger, y’avait son père, le gars René, un brave type complètement déculotté devant sa mégère de femme, le sourire aux lèvres et tellement gentil ! Il avait qu’une passion, jouer aux boules, avec l’autorisation de madame forcément. Le reste du temps il faisait le ménage, les courses, conduisait son dragon aux réunions de la paroisse et se faisait engueuler. Il a passé le temps qu’il lui restait avec sa femme dans la misère des mots aigres de tous les jours, des reproches sans fin. Quand elle parlait de lui elle l’appelait le cochonnet ! Bref, le jour du gigot, j’avais mis les habits des beaux jours, j’avais été chez le coiffeur et j’avais ciré mes souliers. J’en menais pas large parce que j’étais prévenu. La beldoche elle m’a fait asseoir à côté d’elle, tout sourire et elle a commencé les hostilités : – Z’auriez pu mettre une cravate, ça se fait vous savez…J’ai ravalé ma salive. Une torpille dès le début du repas, ça commençait fort !

Alors après elle m’a demandé ce que je faisais comme métier et quand j’ai répondu que j’étais apprenti gloutier, elle m’a regardé, méprisante, et elle m’a dit :- Il en faut !

C’est comme si je lui avais dit poubelleux ou balayeur ! Elle aimait que les mecs avec des métiers chics, genre dans la banque, les assurances, enfin qui rapportent du pognon sans trop se fatiguer!Et Maman qui bouffait sa tranche de gigot sans rien dire pendant que le gars René y se servait du pinard en souriant comme un ahuri. Tu parles d’une belle famille !

A la fin, au moment de l’omelette norvégienne elle a dit un truc que je croyais que j’avais mal compris !- Bon, il est pas très joli ton copain mais il est un peu malin, ça compense ! Alors là, comme j’avais un peu poussé sur le picrate, je me suis mis à gueuler et c’est parti en vrille. On est repartis de là en quatrième vitesse… Mais on s’est mariés quand même ! Les vieux de Maman y sont pas venus…

Le gars René il est mort l’année d’après d’un accident de bouliste, c’était pas beau à voir. Alors on a enterré le cochonnet sans nous. La beldoche elle habitait loin à cette époque, alors on l’avait pas sur le dos.

Alors l’empoisonnement maximal il arrive la semaine prochaine. On nous livre la vioque mardi ou mercredi, avec tout son merdier ! D’ici là faut qu’j’aménage le débarras, y a du taf. La confinerie en famille ça va être coquet. Heureusement que y a les zanimos, au moins, eux, y font pas des coups de travers. Et pour le reste, comme d’hab, on verra demain.

Copyright R. Trouilleux

rodolphe

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Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, les surprises sont souvent au rendez-vous, et c’est un plaisir de les partager.

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