« Paris… J’aime, tu aimes… Nous nous aimons », une nouvelle de Rodolphe Trouilleux / 2de partie

 

IMG_5751.JPG

 

En cette période de confinement, mon ami Rodolphe Trouilleux -qui vient de rejoindre le blog Fille de Paname- et que vous retrouvez tous les jours sur le blog avec son journal imaginaire : « Journal d’un vieux confiné  » vous offre cette nouvelle : « Paris… J’aime, tu aimes… Nous nous aimons »

Rodolphe Trouilleux Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, etc, les surprises sont souvent au rendez-vous et c’est un plaisir de les partager.

Pour retrouver la première partie c’est ICI 

 

Paris… J’aime, tu aimes… Nous nous aimons

-seconde partie-

 

Puis nous nous sommes tirés de là, péniblement, en trébuchant. Deux flics passèrent près de nous en rigolant. Les pochards les amusaient, assurément.
Je regardais ma montre. Deux heures du matin venaient de sonner à l’horloge de la Préfecture…

–  On fait quoi maintenant ?

–  Ouais… Quoi ?


Les yeux écarquillés, les bras écartés, Yann – oui, au fait, il se prénomme Yann – le môme semblait prêt pour décrocher toutes les étoiles du ciel.

– Je connais bien une adresse, mais c’est un peu spécial.


En fait je connaissais bien ce truc pour noctambules viveurs, mais il y avait bien dix, vingt ans que je n’y avais pas mis les pieds.
C’était tout près, dans une petite rue de Saint-Germain des Prés. Une cave creusée dans les profondeurs de la terre. Quand nous nous présentâmes à l’entrée, le videur, haut comme trois armoires à glace, nous considéra en fronçant les sourcils :

– Dites, vous ne seriez pas un peu bourrés les gars ?
Yann le regarda fixement, trop, mis ses mains sur son ventre et se précipita de l’autre côté de la rue pour vomir.

– Ouais, c’est bien ce que je pensais…
Moi je souriais béatement, en regardant le costaud sans broncher… Et tout à coup, j’arrivais à prononcer une formule magique :

–  Alors Mario, toujours aux manettes ?

–  Mario… Quoi Mari…

Tout à coup, il effaça mentalement ma barbe, ma tonsure, colora mes cheveux gris et…


– Non!Toi?


Une accolade fraternelle, des propos forcément échangés, du genre « qu’est- ce que tu deviens ? » et le temps s’était effacé. Quand j’avais mes habitudes dans cette boîte, Mario était toujours celui qui arrangeait les coups, bons ou mauvais. Nous avions fait quelques conneries ensembles, prescrites, forcément. Une question me brûlait les lèvres :

– Et Mémère ?

Mémère tenait le vestiaire autrefois. Hors d’âge, elle s’occupait de ses « petits jeunes » avec passion et dévouement, leur fournissant mouchoirs en papier, cachets d’aspirine et capotes sans poser de question. Elle recevait les confidences de tous, engueulait l’un ou l’autre en cas de besoin, recousait un bouton, faisait un ourlet. Elle tenait la boutique jusqu’à la fermeture. Mémère était notre mascotte, notre grand-mère à tous, qui savait se faire respecter et que nous respections sans problème.
Derrière elle, dans sa « cabine », comme elle disait, était accrochée la grande photographie d’une superbe créature des années folles au long fume cigarette et en robe droite à froufrous. Cette fille magnifique, que beaucoup d’entre nous aurait aimé serrer dans leurs bras, c’était Mémère, dans sa vie d’avant. Elle n’en parlait jamais et ne se vantait pas de cette période, vraiment folle, où elle fit chavirer tant de têtes. Un jour que je reprenais ma pelure, un peu fatigué, mon regard croisa celui de Mémère et alla aussitôt se balader sur la vieille photographie, et je dis tout à coup :

–  Mais ces yeux, Mémère, ces yeux…

–  Eh oui, ce sont les miens mon chéri…
Elle me sourit tout en posant son index sur mes lèvres :

-Chut, il ne faut pas réveiller les fantômes…

 

DSC_0153.JPG

Plus tard, comme elle savait – le métier d’historien entrant peu à peu – que les choses du passé me passionnaient, elle me montra discrètement de petites photographies et quelques coupures de presse jaunies. Elle y figurait en bonne place à côté d’un homme dont l’apparence me rappela aussitôt quelque chose : – C’est Sacha, l’amour de ma vie… tout le monde l’appelait Alexandre, mais pour moi, c’était Sacha.

Ainsi Mémère avait été la maîtresse de l’escroc Stavisky. Elle me raconta quelques souvenirs sentant bon les parfums capiteux d’avant-guerre, les draps de soie et les belles bagnoles, puis elle ne m’en parla plus jamais.


– Mémère est morte il y aura bientôt dix ans.


Mario baissa la tête puis la releva, levant les yeux au ciel comme pour chasser ses souvenirs, puis enchaîna :


– Tiens, ton petit copain, il a commencé sa nuit.


Yann était allongé sur le trottoir, ronflant comme un vieux moteur. Je le secouais un peu en demandant à Mario d’appeler un taxi, comme au bon vieux temps.
Quand la voiture arriva, au loin, Mario disparut dans la boîte quelques instants et revint avec un grand sac en plastique :


– Tiens, elle avait laissé ça ici. Je crois bien que c’était pour toi.


Dans le sac gisaient les vieux souvenirs de Mémère, sa jolie photo et ses petits papiers.
Quand nous sommes parvenus chez moi, le jour se levait déjà.

– Alors, bien dormi ?


Ma question s’adressait à Yann, dont les yeux gonflés et l’allure ralentie trahissaient une nuit courte et pleine de rêves. Se frottant les yeux, il me répondit un truc inintelligible, du genre :


– grhlto…. Douche…. Fgglrl… Manger… Soif, faim…


– Mais moi aussi j’ai faim ! Il est bientôt l’heure de dîner… Va te laver et on va manger dehors, ça te dis ?


J’entendis un grognement affirmatif pour toute réponse.

Pour résumer, moi, le célibataire endurci, sans descendance identifiée, je me voyais en compagnie d’un môme qui aurait pu largement être mon fils. C’était inattendu et plutôt sympathique.

Chez Tino, le restaurant italien du bout de ma rue, nous avalâmes pizzas et pâtes avec force appétit. Yann était un ogre déguisé en maigrichon flottant dans son T-shirt. Il s’enfila deux bières sans sourciller et n’arrêta pas de parler, me posant mille questions sur le fameux Adam Desnoyers et les pistes à suivre. Yann était un chercheur dans l’âme, ce qui n’était pas pour me déplaire. Quand il eut rempli son petit cahier de mes réponses, inspirées ou non, il referma son crayon avec des mines d’huissier de justice ayant accompli son travail, et me regarda droit dans les yeux :

–  Tu n’es pas marié ?

–  Non.

–  Et tu as une petite amie, une copine pour les sorties et la rigolade ?


C’était tellement inattendu que je me mis à rire, puis je répondais par la négative…
Il fit la moue :

–  C’est con. Tu devrais…

–  Je devrais quoi ?

–  Ben… Aller dans les boîtes, draguer un peu, tu es encore pas mal pour ton
âge.

–  Merci…

–  Sinon, moi je connais quelqu’un de sympa.

–  Ah ouais ?

–  Ouais, elle est plutôt jolie et elle est un peu plus jeune que toi. Je vais te la
présenter, tu vas être conquis en deux secondes. Je te préviens, c’est pas
une intello, mais sa cuisine, sa cuisine…

–  Ah oui?

–  Formidable ! Mais elle n’aime pas les mecs compliqués, les baratineurs, elle est trop jeune pour vivre seule, vraiment…


Je ne trouvais rien à redire, d’ailleurs, qu’aurais-je pu dire ? Protester, m’indigner ? Je savais bien que tout ça n’était pas sérieux. En sortant du restaurant, nous allâmes traîner vers les quais de Seine, à deux pas.
Le mail que tu m’avais envoyé un fameux soir de l’année dernière était touchant de sincérité, mais je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse m’entraîner vers ces chemins inédits pour moi.

À suivre sur le blog Fille de Paname 

rodolphe

 

Si vous aimez la culture, signez ces pétitions pour la survie des artistes :

Publié par

Amoureuse de Paris, j'aime partager mes découvertes culturelles, gastronomiques... Je vous dis ce qui m'a plu pour vous donner envie de sortir dans cette si jolie ville qu'est Paris où l'on a la chance d'avoir tant à faire, à voir, à goûter et à tester... Également désormais : des interviews !

Un commentaire sur « « Paris… J’aime, tu aimes… Nous nous aimons », une nouvelle de Rodolphe Trouilleux / 2de partie »

Laisser un commentaire