Voleur de scène
Le personnage de Maurice Leblanc n’en finit plus de se réinventer. Films, séries télévisées, bande dessinée, dessin animé, pastiches et maintenant pièce de théâtre. Arsène Lupin est en effet en train de cambrioler la scène du Lucernaire, dans une comédie-hommage toute en chapeau haut-de-forme et canne à pommeau.
Il y a différents types d’amateurs de l’œuvre de Maurice Leblanc. Celles et ceux qui ont découvert les romans dans lesquels le gentleman-cambrioleur dame le pion à la haute-société et à la police, avec force ruses et déguisements. Celles et ceux qui ont grandi avec la célèbre série télévisée des années 1970 portée par Georges Décrières et un générique culte entonné nonchalamment par Jacques Dutronc. Ou celles et ceux qui viennent seulement d’en entendre parler grâce à la série Lupin avec Omar Sy sur Netflix. Tous sont évidemment conviés à se rendre au Lucernaire au plus vite, afin de découvrir cette nouvelle pièce consacrée au voleur charmeur et imprévisible. Nouvelle, car ce n’est pas la première fois qu’Arsène fait les beaux jours des planches, mais ici, c’est autant pour le plaisir des méninges que celui des zygomatiques.
Après un générique tout en ombres chinoises fort réussi, nous voici dans un salon cossu (fait de bric et de broc et dont chaque pan ou presque est tout en faux-semblant, à l’image de Lupin). Nous sommes chez les Gournay-Martin, quelques jours avant le mariage entre une riche héritière et le duc de Charmarace. C’est l’effervescence des préparatifs. On en oublierait presque le somptueux diamant de la Princesse de Lamballe que Lupin a annoncé vouloir dérober. Il va de fait user de tous les stratagèmes possibles pour s’en emparer et déjouer la vigilance de son ennemi juré, le fameux inspecteur Ganimard… Et si Lupin avait cette fois affaire à plus fort que lui ?
La mode est actuellement à la déconstruction des grandes figures de la littérature sous le prisme du rire. On ne compte plus les pastiches de Sherlock Holmes qui triomphent ici ou là et cet Arsène Lupin ne déroge pas à la règle : on respecte l’essence du personnage pour l’emmener dans une ribambelle de situations rocambolesques, de quiproquos saugrenus et de second degré qui tombent tantôt juste, tantôt à plat. Et si la blague ne fait pas mouche, qu’importe, la suivante fera son petit effet. La partition est donc précise et exclut d’emblée imprécisions et cabotinages pour que cela fonctionne.
Et surtout, aucun personnage ne reste dans une seule et même couleur. Lupin passe de son assurance légendaire à l’effroi d’être découvert et capturé. Ses complices, dépendants de la sagacité de leur maître, doivent songer à sauver leur peau et faire des choix cornéliens. La victime du vol n’est pas qu’une oie blanche que l’on peut facilement duper. Et l’inspecteur Ganimard oscille entre maladresses et roublardise capable de rivaliser avec son Némésis. À ce petit jeu d’ailleurs, saluons la prestation toute en nuances de Pierre Khorsand qui éclipserait presque le cambrioleur pas si gentleman.
Que l’on soit adepte de la prestation surannée de Décrières ou plus nerveuse d’Omar Sy, ou que l’on préfère sa version papier, cet Arsène Lupin saura satisfaire ses nombreux admirateurs, ravis de le voir en chair et en os en plein théâtre d’une de ses fameuses opérations. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut approcher au plus près de la vérité du plus grand des voleurs, sans craindre pour son portefeuille. Regardons-le oeuvrer, c’est du grand art.
Arsène Lupin, au théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris. Jusqu’au 5 mars 2023, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 17h.
