« Sauver un peu de la beauté du monde » au Théâtre la Boussole

C’est à la découverte de Rose Valland, véritable héroïne de l’occupation que nous convie le théâtre de la Boussole. Un personnage aussi courageux qu’émouvant.

« Sauver un peu de la beauté du monde » voilà la belle et juste mission que voulait accomplir Rose Valland, jeune attachée de conservation à Paris, au Musée du Jeu de Paume, plaque tournante des spoliations d’œuvres d’art confisquées aux familles juives française pendant l’occupation.

Une figure historique majeure que celle de Rode Valland, travaillant dans l’ombre sous la direction du directeur des Musées nationaux Jacques Jaujard, et notant au risque de sa vie toutes les informations nécessaires à l’identification et à la sauvegarde future – alors bien hypothétique – des milliers d’œuvres d’art volées par l’occupant et envoyées en Allemagne.

Hermann Göering, Reichsmarschall et numéro deux du pouvoir nazi visita une vingtaine de fois le Musée du Jeu de Paume pour, en quelque sorte, y faire son « marché artistique » de collectionneur d’Art, compléter sa collection personnelle ainsi que celle de Hitler pour son futur grand musée de Linz avec l’idée de supplanter le Louvre

L’ERR, unité d’intervention Rosenberg, envahit le Musée du Jeu de Paume le premier novembre 1940.

Ce jour précis, Rose Valland a 42 ans.


Dans cette pièce écrite par Maud Lesur, une savoureuse galerie de personnages défile, du modeste gardien de musée au redoutable historien d’art Bruno Lohse, de l’ERR, au directeur du Louvre et à un marchand d’art crapuleux, Gustav Rochlitz, échangeant un volume conséquent de chefs d’œuvres de tableaux modernes dit d’Art « dégénéré » aux yeux des nazis, contre deux tableaux classique correspondant au gout plus « germanique » des dirigeants allemands.

Et au beau milieu de tout cela, un trafic d’œuvres, admirées, adorées, vénérées par Rose Valland et paradoxalement admirées par les membres de l’ERR, à part bien sûr, pour ces derniers, toutes les œuvres d’art dégénérées dont ils firent hélas un feu de joie.

Rose Valland, à la libération, n’eut de cesse de participer aux récupérations d’œuvres d’art et, grâce à ses notes, aux numéros de convois notés par ses soins, 400 000 œuvres furent retrouvées, sauvées et parfois rendues à leur légitimes propriétaires.

Cette femme admirable, véritable héroïne fut pourtant bien mal remerciée. Nommée conservateur de 7e rang à seulement 54 ans, malgré ses diplômes, ses nombreux articles, décorée certes, mais peut-être un peu ignorée aussi par monde de l’art représenté majoritairement par des hommes.

Cette femme qui avait dû agir un peu malgré elle mais avec force et détermination – ne pas avoir le choix devant l’ignominie – et qui a réussi pleinement sa mission : « sauver un peu de la beauté du monde » est un peu oubliée aujourd’hui, alors que nombre de salle de musées, d’écoles devrait fièrement porter son nom.

La pièce de Maud Lesur n’en a que plus de mérite.

Dans un décor astucieux, aux panneaux mobiles, occupés ou désertés par les œuvres spoliées, les comédiens, jouant souvent plusieurs rôles, sont particulièrement investis et leurs échanges rythmés nous ont fait vite oublier que nous étions en 2023, mais plutôt plongés avec eux dans l’univers sombre et violent de 1940.

Au beau milieu de cette ambiance de déménagement, voire de cambriolage, Rose Valland, parfaitement jouée par Alexandra Sarramona, paraît comme une figure lumineuse, parfaite incarnation de la justice faisant face à l’épouvantable pillage organisé par un état voyou. Carnet en main, posant çà et là quelques questions naïves, fouillant dans les poubelles à la recherche de quelque papier froissé, Rose s’expose, est menacée mais continue d’exercer sa mission.

A Paris l’occupant déporte des familles entières, pille les plus riches collections pour alimenter la folle passion des pseudo élites allemandes. Créer le plus beau, le plus grand musée du monde par une réunion de larcins, voilà le but des forces allemandes !

Des milliers d’œuvres sont envoyées en Allemagne, des convois, parfois détournés grâce aux informations de Rose Valland.

Beau et émouvant moment que nous avons passé au théâtre de la Boussole, portés par cette histoire vraie, hélas, mais mettant en valeur une figure féminine pleine de courage et d’humanité : Rose Valland.

Rose Valland, sauver un peu de la beauté du monde

Spectacle écrit et mis en scène par Maud Lesur

Avec :

Alexandra Sarramona, Antoine Bobbera, Marion Cador, Raphaël Cohen, Remi Couturier, Xavier Fagnon

Lumières Debis Schlepp

Direction d’acteur Nicolas Dereatti

Collaboration au décor Gérard Galiano

Du mercredi au samedi à 19H30

Théâtre de la Boussole, 29 rue de Dunkerque, 75010 Paris

Tél. : 0185080950

contact@theatrelaboussole.com

@theatrelaboussoleofficiel

@théâtrelaboussole

MARENCONTREAVECALEXANDRESARRAMONA

Le rédacteur de Fille de Paname avait rendez-vous à la terrasse d’un restaurant de la butte Montmartre avec Alexandra Sarramona, comédienne jouant Rose Valland, dans « Sauver un peu de la beauté du monde », en ce moment au théâtre La Boussole.

C’est une femme métamorphosée qui m’attendait. Bien éloignée physiquement de la silhouette austère de son personnage, Alexandra est une femme rayonnante et passionnée.

portrait d’Alexandra, photographe Alex Rose

Par le caractère, elle ne s’éloigne pas vraiment de Rose Valland qu’elle incarne – avec succès – sur scène. Elle est manifestement heureuse de jouer, entourée d’excellents comédiens, dans cette pièce à la mise en scène astucieuse.

La jeune fille « montée à Paris » il y a quelques années, danseuse, gymnaste, amatrice d’art, quittant le Vernon de son enfance et rejoignant un frère cité Véron, et dansant au Bus Palladium ou fréquentant le bar de « Lili la tigresse » – les danseuses dansaient sur le comptoir, belles découvertes et ambiance de folie ! – puis ce fut la découverte du jazz, de la new wave, de la musique anglaise, et la jeune Alexandra oublia vite sa condition d’ex provinciale, se métamorphosant en nouvelle parisienne.

Elle a toujours fréquenté et aimé Montmartre, sur tous les versants, quartier où elle réside et qu’elle ressent – ainsi que beaucoup de ses habitants – comme un village de Paris, pour sa proximité, ses relations de voisinages facilitées et son ambiance.

Le personnage de Rose Valland, qui risqua sa vie uniquement pour l’amour de l’art, attitude d’une femme passionnée mais aussi véritable geste politique, ne pouvait que plaire à Alexandra. Se plongeant dans la musique de l’époque, de son ambiance, la comédienne s’est imprégnée de ce rôle, qui résonne en elle tout particulièrement.

En incarnant parfaitement cette femme d’autrefois, elle fait revivre sous nos yeux une femme courageuse et impliquée qui ne put se résoudre à voir partir chez l’ennemi d’alors tous les chefs d’œuvres spoliés chez des personnes qui, parfois, terminèrent leurs vies dans l’horreur des camps de concentration, éloignés pour toujours de la grâce et de la beauté des tableaux, des sculptures…

Alexandra, poussant plus loin sa passion de la scène, aimerait qu’une meilleure place soit réservée à l’histoire de Rose, « personnage complexe vivant une situation complexe ». Personnellement, elle réussit particulièrement sa mission et Rose Valland,  femme combattante, aurait beaucoup apprécié son travail si juste de comédienne impliquée et talentueuse.

Une pièce qui pourrait être jouée utilement dans les écoles, afin de transmettre la passion de l’art et de la beauté, l’un des plus grands remparts contre la barbarie et la stupidité humaine.

En attendant – mais est-ce vraiment un hasard ? – Alexandra/Rose a ressorti ses toiles pour se plonger à nouveau dans une de ses plus nécessaires motivations : participer, à sa manière, à l’enrichissement de la beauté du monde.

(Partenariat => J’ai été invité mais ça ne change rien, j’ai vraiment adoré puisque je fais l’article à la suite :)

Publié par

Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, les surprises sont souvent au rendez-vous, et c’est un plaisir de les partager.

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