« HEDWIG AND THE ANGRY INCH » À LA SCALA DE PARIS

La Scala Paris se transforme en salle de concert transgressive et festive en accueillant des représentations exceptionnelles de la version française de la comédie musicale glam rock culte Hedwig and the Angry Inch de John Cameron Mitchell. Décoiffant, forcément.

Copyright Grégory Juppin

Cela fait plus de trente ans maintenant que John Cameron Mitchell a inventé son double de fiction, la transgenre Hedwig, meneuse de revue rock d’un groupe de laissés pour compte, The Angry Inch. Quatre ans plus tard, en 1998, le personnage devient l’héroïne d’une comédie musicale off-Broadway à succès, Hedwig and the Angry Inch, puis trois ans après, un film, réalisé par John Cameron Mitchell lui-même. Il y raconte inlassablement la vie artistique et amoureuse de sa créature, ancien jeune homme androgyne s’ennuyant dans un Berlin-Est coupé du monde et devenu femme, expatrié aux États-Unis où elle végète en attendant la gloire. Une gloire qui viendra par l’intermédiaire d’un artiste dont elle révèlera le talent, avant de retourner dans l’ombre où elle tente de s’extirper avec son groupe. Entre grandeur et déchéance, elle raconte en mots et en musique, son parcours atypique guidé par la liberté et l’émancipation.

Copyright Grégory Juppin

Il était plus que temps que la France succombe enfin au phénomène Hedwig qui a déjà essaimé partout à travers le monde. Le film de 2001 n’avait remporté qu’un succès d’estime, à peine éveillé par les prestations scéniques américaines de stars telles que Neil Patrick Harris, Michael C. Hall ou Darren Criss qui se sont succédé sur scène et dont l’écho est à peine parvenu dans nos contrées. Un peu comme un Rocky Horror Picture Show qui aurait raté son audition d’entrée, mais qui résonne désormais comme une institution. La France est désormais prête à porter en triomphe Hedwig et ses désaxés. Drag Race a fait exploser les audiences, la question transgenre est devenu un fait de société qui commence à se banaliser (même s’il y a encore bien du travail à faire sur le sujet) et Hedwig peut ainsi réapparaître dans toute sa splendeur. Rendue à la vie et parlant dans la langue de Molière grâce à Brice Hillairet qui a participé à son adaptation française et qui l’incarne, Hedwig a déjà enchanté le festival d’Avignon l’an dernier, puis le Café de la Danse, avant d’enflammer une Scala qui lui fait un plébiscite.

À quoi reconnaît-on un show d’exception ? À son entrée, sa sortie et son milieu. Trois moments-clés qui se doivent d’être marquants et inoubliables et qui parviennent à éclipser des potentiels ventres mous dans le récit. Il y en a parfois dans Hedwig and the Angry Inch, quand la parole vient à monopoliser les guitares électriques qui ne demandent à vrombir et gronder. Mais l’entrée est si tonitruante, le milieu si ébouriffant (la scène incroyable des perruques qui voltigent et retracent la vie et la transformation de la chanteuse) et la fin si bouleversante, que l’amnésie opère. Il n’y en a plus que pour Hedwig, si drôle, si impertinente, si émouvante, si incandescente. Mais aussi pour son mari Yitzhak, femme devenue homme. Dans ce spectacle, on brouille les genres, on ne questionne pas l’identité qui n’est que superflue pour ne viser que l’humanité profonde de ses personnages. L’histoire qui se raconte ici, se vit intérieurement, s’écoute intensément, au rythme de chansons glam rock entêtantes.

Copyright Grégory Juppin

Si Brice Hillairet est l’âme du projet, s’il est une Hedwig plus vraie que nature, parvenant à rivaliser avec ses glorieux prédécesseurs internationaux, il faut noter la performance tout aussi hallucinante d’Anthéa Chauvière dans le rôle d’Yitzhak. Elle vole littéralement la vedette à sa chanteuse principale, d’abord dans les chœurs, à peine perceptible, au détour de quelques répliques truculentes de son accent de l’Est, puis en prenant de plus en plus de place jusqu’à un final où elle prend la scène à bras le corps. Hedwig et ses Angry Inch peut alors emmener ses perruques et ses tenues extravagantes en coulisses. Elle sait qu’elle a réussi à conquérir la France. Il était temps et son règne ne fait que commencer.

Hedwig and the Angry Inch, à la Scala de Paris (13, boulevard de Strasbourg 75010 Paris), les 29 avril et 6 mai, puis en décembre.

Publié par

Journaliste de formation et amoureux de Paris, J’ai écrit pour différentes publications à gros tirage (Questions de femmes, Le Républicain Lorrain, Carrefour savoirs, Aux petits oignons…) et pour des sites culturels (Evene.fr, Grand-Ecart.fr…). Pour Fille de Paname, je rédige articles et interviews essentiellement dirigés vers la culture. julien@filledepaname.com

2 commentaires sur « « HEDWIG AND THE ANGRY INCH » À LA SCALA DE PARIS »

Laisser un commentaire