La Mouette se pose à l’Epée de Bois
Quand il écrit Platonov à 18 ans, pièce de théâtre qu’il remisera dans un placard pour ne plus y toucher, toute l’œuvre de Tchekhov est déjà là : l’antagonisme entre la vieille génération qui possède l’argent et la jeune qui se cherche une voie/voix, amours impossibles, l’ennui de l’hiver qui finit par taper sur le système et provoquer des hystéries collectives et toujours, un personnage charismatique qui fascine, que l’on se prend à aimer et haïr en même temps et qui finira par mettre fin à ses jours.
Tout était là depuis le début et se retrouve distillé dans toutes ses œuvres les plus emblématiques, comme La Mouette dont une nouvelle version est présentée actuellement au théâtre de l’Epée de Bois à la Cartoucherie. Ici, Kostia est un auteur de théâtre en devenir (un double de Tchekhov lui-même ?) et dont la mère Irina est une actrice reconnue et imbue d’elle-même. Elle sort avec le jeune Trigorine, écrivain reconnu que Kostia jalouse. Les deux hommes, en plus de s’affronter sur le terrain des arts et des affres de la création, vont se partager le cœur de Nina, jeune comédienne qui vacille et ne sait sur quel pied danser.
Pièce dans la pièce, jeux habiles de lumière projetés sur des rideaux de papier comme des ombres chinoises animées, saisons représentées sur trois espaces de jeux différents, la mise en scène de cette version de la troupe d’Isabelle Hurtin est ciselée et délicate. Derrière les incessants bavardages des personnages qui parlent pour combler le vide et grappiller des instants de vie à la mort, point le désenchantement qui finira par tous les emporter. Il y a des rires, des traits d’esprit, des parties de loto, mais chacun sait que son destin est scellé. Irina n’ignore pas que Trigorine est épris d’une autre ni que son fils en souffre. Kostia voit bien que Nina se matérialise en mouette qui ne songe qu’à prendre son envol, mais il reste cloué au sol et comme lui, son œuvre ne décollera jamais.
La distribution est impeccable et deux comédiens ravissent particulièrement notre cœur autant que la lumière : Mathieu Saccucci, sur le fil de l’émotion perpétuelle en Kostia qui ne demande qu’à être aimé en retour et Isabelle Hurtin elle-même, fébrile en actrice diva, égocentrique et égocentrée qui refuse de voir son monde s’effondrer. Ce n’est que jusqu’au 28 juin. Il est encore temps de s’élever en la compagnie de cette Mouette pas comme les autres…
La Mouette, au théâtre de l’Epée de Bois, du lundi au mercredi à 20h30.
Route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris