
Si pour 11 d’entre eux sa culpabilité est évidente, un juré va émettre des doutes. Or il faut l’unanimité pour prononcer un verdict. Une vie est entre leurs mains. C’est l’acquittement ou la chaise électrique.
Dans cette pièce bien connue des cinéphiles, douze hommes, jurés d’un procès pour meurtre, délibèrent pour déterminer la culpabilité d’un jeune garçon qui risque la peine de mort. Le Théâtre Hébertot revisite le chef d’œuvre du dramaturge américain Reginald Rose “12 Hommes en colère”, écrit en 1953 et adapté au cinéma par Sydney Lumet quatre ans plus tard.
N’ayant jamais vu le film, j’ai confronté mon avis à celui de mon amie Sarah qui, pour sa part, n’avait pas oublié le scénario.
Avis de Hillel :
En me rendant au théâtre Hébertot, j’avais forcément en tête le film de Sidney Lumet, mais je l’ai vite oublié pour (re)découvrir ce texte qui n’a pas pris une ride. Les thèmes restent très actuels : l’affrontement des classes, la compassion et la responsabilité, les préjugés… On peut facilement oublier que la pièce a été écrite il y a plus de soixante ans, tant elle semble parler du monde d’aujourd’hui.
Les thèmes semblent contemporains, mais l’atmosphère visuelle est bien celle de l’Amérique des années 50. La très belle mise en scène de Charles Tordjman évoque un tableau de Hopper : les couleurs rompues, les ombres dures, l’immobilité apparente qui ne demande qu’à exploser.
Les douze personnages sont en permanence sur la scène, mais sans jamais donner une impression de désordre, tant le regard du spectateur est dirigé. On assiste à un beau ballet des acteurs dans ce décor très sobre mais efficace. Cette simplicité du plateau (décor gris, avec seulement un banc et une fenêtre) permet la mise en valeur du texte et du jeu, le spectateur n’est pas distrait. Il y a assez peu de déplacements, ce qui leur donne encore plus de poids : lorsqu’un personnage s’avance sur la scène, ou se tient à l’écart par exemple, ce n’est jamais anodin.
On ressent très bien l’alchimie entre les personnages, et c’est sur leurs interactions que repose toute l’intrigue de la pièce. J’ai observé avec intérêt la façon dont chacun tente de faire vaciller les autres. Les personnages nombreux sont pour la pour la plupart des archétypes qui nous sont familiers. Ils parviennent pourtant à nous surprendre, dans leurs choix et leurs réflexions, et à s’éloigner des clichés.
Dans ce huis clos entièrement masculin, la tension qui monte petit à petit étouffe ses personnages mais jamais le spectateur.
La dynamique du groupe est efficace, les acteurs se complètent et ont chacun leur moment pour briller, sans que personne ne tire la couverture à soi. Dans le rôle du juré rebelle, j’ai retrouvé avec plaisir Bruno Wolkowitch, plus connu pour ses rôles à la télévision mais habitué des planches.
Les détails de l’affaire qui est débattue sont révélés au compte goutte au cours de la pièce, et comme les personnages, le spectateur se laisse convaincre au fur et à mesure des révélations, soit de la culpabilité, soit de l’innocence de l’accusé.
Avis de Johanna :
J’ai apprécié la mise en scène épurée de Charles Tordjman qui se concentre sur le jeu d’acteurs. Le metteur en scène se saisit en effet avec sobriété et élégance de cette pièce à la distribution uniquement masculine. Cette distribution, que j’ai par ailleurs trouvée éclatante : les douze comédiens excellent dans une mise en scène très simple, se concentrant sur la psychologie des personnages. Parfois alignés sur une banquette, serrés, en tension, d’autres fois se levant à tour de rôle comme dans une chorégraphie minutieuse, ils prennent à la fois tout l’espace et toute notre attention.
N’ayant pas vu le film, la pièce m’a tout de suite fait penser au scénario de Vers sa destinée de John Ford, pour son atmosphère houleuse qui relate le procès William Duff Armstrong au terme duquel Abraham Lincoln obtint l’acquittement de l’accusé.
C’est une pièce qui réussit très bien à faire résonner aujourd’hui des thèmes universels : les préjugés, la notion de justice, la lutte des classes. Dans une atmosphère orageuse à la tension palpable, je n’ai cessé de m’interroger: “qu’aurais-je fait à leur place ?”. Bruno Wolkowitch dans le rôle du “rebelle”, la figure du “sceptique” qui m’intéresse le plus dans les œuvres dramaturgiques, émet le doute sur l’accusé et nous rappelle qu’il est difficile d’affirmer des choses sans questionner notre point de vue sur les “réalités apparentes.” Brillant par son éloquence, il va tout remettre en cause et dénoncer la fureur collective au profit de la miséricorde dont chacun a le droit de bénéficier.
La pièce est une réussite théâtrale et psychologique qui réunit des comédiens formidables. Ce qui est sur, c’est que l’on connaisse ou non le film, c’est une pièce à voir !
Théâtre Hébertot
78 bis rue des Batignolles
75017 PARIS