
Guerre sans paix
Avec L’Absence de guerre de David Hare, Aurélie Van Den Daele donne à voir le monde impitoyable de la politique côté coulisses avec une mise en scène clinique et fascinante et des comédiens fabuleusement investis.
Le temps est venu pour de nouvelles élections au Royaume-Uni. Le parti travailliste, toujours perdant, voit tout d’un coup ses chances s’élever pour entrer au 22 Downing Street. Mais voilà, son leader, George Jones, ambitieux et charismatique, est beaucoup trop pur pour combattre dans l’arène politique. Au moindre faux pas, sa confiance en lui vacille. Autour de lui, une équipe prête à le défendre becs et ongles. Ou à l’enfoncer, c’est selon. Car si la guerre est absente, tous les coups sont pourtant permis…
David Hare a réellement suivi de près des élections, dans le camp travailliste, persuadé alors de réussir enfin une bonne fois pour toutes à diriger le pays. Mais il assista à une dégringolade en bonne et due forme, une chute sensationnelle après l’ascendance inespérée. Une manne finalement pour l’auteur qui en écrivit cette pièce qui a toujours une forte résonnance avec l’actualité, surtout en cette période de Brexit qui semble tout remettre en cause.

La metteure en scène Aurélie Van Den Daele à qui on devait l’année dernière le brillant Angels in America s’empare de ce texte en y distillant tout ce qui fait sa singularité : décor froid et clinique, même troupe de comédiens (tous excellents), coulisses apparentes, bande son efficace (il est bon de réentendre le Bloody Sunday de U2 qui fait écho aux bouleversements intérieurs du leader en proie au doute)… Pendant 2h30, on assiste, impuissants, à la chute inexorable d’un homme (et dans le même mouvement, de son parti). Le public, voyeur, est captivé par cette explosion en plein vol. Pire, il l’attend même, tandis que George Jones se révèle un anti-héros attachant, ambivalent, fascinant, prêt à mettre son corps et son âme sur la balance pour réussir. De fait, la scénographie reflète tous ses états.
Sur le devant de la scène, les protagonistes montrent ce qui est permis de voir par le public. Les rouages d’un parti au travail pour gagner des élections qui semblent à portée de main. On y voir leur plan de bataille, les angles à aborder face aux médias, l’amitié et les inimitiés également entre ces hommes et femmes qui sacrifient tout pour réussir, jusqu’à leur vie privée. Puis, derrière un mur transparent tout en verre, c’est là que le spectacle se joue : les coulisses du pouvoir. La plupart des scènes s’y déroulent (sans compter une dans le public, sans doute l’une des meilleures). Car ici, c’est l’envers du décor qui nous est dévoilé, meurtri de coups bas, de tactiques, de d’infidélités, de doutes. Et surtout, Aurélie Van Den Daele donne à voir l’inconnu, l’inmontrable : les relations humaines qui n’osent se donner de face. Grâce à une caméra et un écran géant, on suit en permanence ce qui se passe dans la psyché des personnages, dans l’invisible, quitte à laisser la scène totalement dénudée et inhabitée (ce qui peut surprendre et déranger). Là, on perçoit les réels tourments de ces personnages en ordre de bataille. Là, se jouent tous les mauvais coups. Là, se perdent toutes les illusions.

L’Absence de guerre est ainsi plus qu’une pièce. Grâce à ce système de caméra embarquée, elle devient performance artistique d’art contemporain. En plus des comédiens, on ne peut que saluer le caméraman, personnage invisible mais sans qui cette pièce n’aurait pas le même intérêt qui séduit autant qu’il gratte. Dépêchez-vous, il n’y a plus que quelques représentations pour découvrir les arcanes du pouvoir…
L’Absence de guerre, Théâtre de l’Aquarium, La Cartoucherie.
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h. Jusqu’au 3 février.