
Un spectacle qui fend le cœur
Isabelle Andréani incarne une émouvante Félicité, dans cette adaptation qui transpire la bonté et l’humanité d’Un cœur simple de Gustave Flaubert. Actuellement au Théâtre de Poche-Montparnasse.
À l’origine, Un coeur simple est une nouvelle publiée en 1877 dans le recueil Trois contes, où Flaubert décrit le quotidien de Félicité, une bonne de la campagne, dont on suit les joies et surtout les peines. Un récit poignant, adapté au cinéma en 2008 par Marion Laine, avec Sandrine Bonnaire et Marina Foïs et désormais, un seule en scène avec Isabelle Andréani, mis en scène par son complice Xavier Lemaire. Une adaptation qui a déjà fait le bonheur des festivaliers d’Avignon deux étés de suite, qui a concouru aux Molières dans la catégorie Seul(e) en scène et qui affiche complet régulièrement au Théâtre de Poche-Montparnasse.
Et ce sont véritablement les mots de Flaubert que l’on entend, avec cette transposition fidèle de sa nouvelle, où l’on passe simplement d’une description à une narration. Tout le spectacle est vu et vécu du point de vue de Félicité, qui n’est plus un personnage que l’on introduit, mais qui s’offre à nous. Elle nous conduit dans son monde intérieur qui se rétrécit de plus en plus, au fur et à mesure de ses malheurs qui s’accumulent et qu’elle essaie de balayer d’un revers de la main. Elle se retient de pleurer, laisse exploser sa joie soudainement, passant du coq à l’âme, court d’un bout à l’autre de la scène, toujours en mouvement. A croire que si elle s’arrête de parler et de bouger, elle finira par s’éteindre, par disparaître complètement.

C’est qu’elle n’a pas toujours l’occasion de s’épancher ainsi, de se laisser voir par la petite lorgnette. La vie des petites gens est tellement portion congrue qu’observer ce cœur plus gros qu’une montagne se dévider, ressemble à un privilège. L’absence d’amour, la mort qui rôde et emporte les innocents (la petite Virginie, le neveu Victor), la pauvreté dont on fait fi, la santé qui décline et ce bonheur simple de caresser un perroquet (même empaillé), de lui parler et le dorloter, lui transmettre tout ce que l’on n’a jamais reçu.
Isabelle Andréani est une Félicité plus vraie que nature, conteuse hors pair, vivant ce qu’elle ressent, sans verser dans le pathos pour autant. Car Félicité se bat comme une tigresse dans cette joie de vivre qui dépasse les douleurs. Un tressaillement, un trémolo, une vibration, un mouvement d’une précision d’orfèvre, Isabelle Andréani est d’une justesse confondante, semble se démultiplier tout le long de l’espace, occupe le vide du cœur béant de son personnage. Et émeut au plus haut point. Le cœur se serre à mesure que celui de Félicité décroît. Un spectacle rare, délicat et poignant.
Tous les lundis à 21h.
Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse 75006 Paris.
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