Les magnifiques !
Disons-le tout net, avec Les Beaux, actuellement au Théâtre du Petit Saint-Martin, Léonore Confino signe sa meilleure pièce, parfaite synthèse de son univers aux relations dysfonctionnelles. A voir sans plus attendre.
L’écriture de Léonore Confino peut désarçonner de prime abord celles et ceux qui n’ont pas l’habitude de la lire ou de l’entendre. Il y a de la poésie, jetée au visage des protagonistes et rattrapée au bond par une flopée de répliques cyniques, désabusées, provocatrices et on repart en salves de litanies merveilleusement bien troussées sur la nature humaine, ses déceptions et ses espoirs. Tout est chaos dans le monde de Confino, désabusé et pourtant, les personnages se retiennent ou sont retenus au bord du vide qu’ils ont eux-mêmes créé. Tout est dysfonctionnel dans ses pièces, c’est même une ode aux dérapages (in)contrôlés. Que l’on soit dans le monde de l’entreprise (Building), dans le cocon familial (Les Uns sur les autres) ou celui du couple (Ring), les personnages s’aiment, s’écharpent, se disent leurs quatre vérités ou font souffler un silence dévastateur, le tout avec force émotions et éclats de rire. Car on rit toujours beaucoup de ces malheurs qui s’affichent au grand jour. Et avec Les Beaux, ce sont toutes ces thématiques (familiale, professionnelle, amoureuse) qui entrent en symbiose pour un bouquet final. Comme si cela marquait la fin d’un cycle. Jugez plutôt.

Tout commence par un couple que l’on croirait sorti d’un mauvais soap opéra américain. Un couple qui est amoureux de l’amour à un tel point, qu’on aurait presque envie de monter sur scène pour les gifler. Mais qu’à cela ne tienne, Léonore Confino veille et la trempe en question va arriver plus vite qu’on ne le pense et sous une forme inattendue. Car ces amoureux de pacotille ne sont qu’une fiction imaginée par l’enfant du couple réel qui lui, n’est que bordée d’injures et désenchantement. Et la pièce bascule. Les mêmes personnages montrent leur vrai visage et leur situation sans échappatoire. Elle qui vit seule avec leur fille apparemment en situation de handicap psychologique, pendant que lui part travailler et rentre de plus en plus tard, cherchant à s’échapper de ce couple et de cette vie de famille éloignée de ce que l’un et l’autre avaient prévu en se rencontrant. Cet homme et cette femme qui ne communiquent plus, vont être obligés de le faire lors de la disparition de leur fille, partie fuguer chez sa tante. Les langues se délient, les sentiments se délitent, les mots surgissent par flots et les répliques mordantes avec eux.

On rit, on s’émeut, on entre en empathie autant pour lui que pour elle, même si l’antipathie réciproque n’est jamais bien loin. Chez Léonore Confino, les torts sont partagés, chacun est responsable de la misère affective dans laquelle il se vautre. Ils ont beau se battre, se débattre, briser le décor, ils ne peuvent lutter contre cette vérité : ils sont chacun responsables de cette situation. Et ils sont les seuls à pouvoir la rectifier. Et de ce chaos jubilatoire, autant psychologique que physique, une lueur, infime, d’espoir, réside encore. La fin est poignante, déchirante tout en restant percutante et drôle. C’est le pouvoir Confino. Et ici, il n’a jamais été aussi subtil et puissant, porté par une distribution au diapason (Emmanuel Noblet et l’incroyable Elodie Navarre) et une mise en scène au cordeau de Côme de Bellescize, qui a la lourde tâche de remplacer Catherine Schaub qui a magnifié les précédents textes de Léonore Confino. Un renouveau qui n’est pas anodin quant à la réussite totale de ce spectacle universel.
Théâtre du Petit Saint-Martin, 17 rue René Boulanger 75010 Paris
Jusqu’au 31 décembre, du mercredi au samedi à 21h, ainsi que le mardi 31 décembre.
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