En cette période de confinement, mon ami Rodolphe Trouilleux, qui vient de rejoindre le blog vous fait part d’un journal imaginaire : « Journal d’un vieux confiné » Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, etc, les surprises sont souvent au rendez-vous et c’est un plaisir de les partager.
Trente deuxième jour de confinerie
On en a marre de la confinerie, et moi spécialement ! La belledoche comme cerise sur le gâteau du malheur c’était pas prévu. Avant on était bien tranquilles avec les bestioles, mais rien que de savoir que la vioque elle est là-haut, ça me coupe la chique, et l’appétit !En plus je suis obligé de m’occuper des choses… pas racontables, du genre vider et nettoyer le pot – ça me rappelle la corvée de chiotte au 52e d’infanterie – et puis faut aller chercher le manger de la princesse, de la purée de la mousse de Line et pas une autre marque, de la confiture d’oranges à mémère et du pinard bouché à bien cher, car elle siphonne sa boutanche tous les trois jours la vieille. Elle voit pas, elle entend plus, mais elle absorbe ! Je suis devenu en gros le larbin de la vieille, même si elle me reconnait pas.
À chaque fois que je passe ma tête dans sa chambre je suis obligé de me transformer en Chirac et de lui tenir la main quand elle m’appelle monsieur Jacques par ci, monsieur le ministre par là. Dans un sens y vaut mieux, l’autre jour, je l’ai entendu parler de ma pomme à sa fille chérie. Elle m’a tartiné pendant une demie-heure, du genre :
– Alors bébé (elle l’appelle toujours comme ça) il est où ton bon à rien, encore parti pour fabriquer ses gloutes, hein ? Quand est-ce que je le verrai, c’est pas que j’y tienne mais je voudrais voir sa tête, il a dû prendre un sacré coup de vieux, déjà qu’il était pas très aimable. C’est pas comme mon Cochonnet, il était beau, lui, quand il était jeune. J’ai vu tout de suite qu’il avait l’air intelligent et raffiné (tu parles !) pas comme ton mari qui sait même pas ce que c’est qu’un fil à couper le beurre.
C’est triste mais je me suis marré à la fin quand elle a soulevé un problème douloureux :
– Et pis il a même pas été capable de te donner un enfant, totalement incapable ! Bon… Mon Cochonnet aussi mais au moins j’étais une femme heureuse en amour si tu vois ce que je veux dire et…
C’en était trop, Maman elle l’a laissé tomber en claquant la porte… Elle m’a regardé fixement et puis elle a descendu l’escalier, super furax. Dommage pour la vioque mais le Cochonnet, à la fin de sa vie, il avait le coup de rouge porté à la confession intime, et il m’a affranchi en rigolant sur la libido de sa chère épouse. Il m’a toujours dit « j’ai épousé un frigidaire » en m’expliquant que les nuits atome étaient pas du genre torrides. Déjà quand elle était jeune, la princesse, fallait l’honorer que certains jours et à certaines heures, le style coup furtif entre deux courants d’air c’était pas son genre. Et puis un beau jour elle a affiché closed sur la boîte à rigolade, et le beaup il pouvait même plus l’agacer et lui demander des petits services domestiques, de ceux qui entretiennent la bonne compréhension dans le ménage, rien, nib.Alors, à force d’être à l’étroit dans ses vêtements, le Cochonnet y commençait un peu à chauffer dingue.
Mais là y a eu un miracle, du genre de ceux qu’on raconte dans les manuels : il a été dépanner la voisine du dessous qu’avait une fuite, une femme bien sous tous rapports, y-compris ceux-là. Top accueillante la madame, à toute heure et tout moment de la journée. Là le Cochonnet il a connu l’extase, ça l’a changé de son frigo. Et la vioque elle s’est jamais doutée de rien. Et quand son cher époux lui disait « je vais jouer aux boules » d’un air entendu, il précisait pas la nature exacte du matériel.
Par contre pour Maman c’est pas faute d’avoir remis le couvert quotidiennement, mais y a rien eu à faire, ça avait l’air de bien commencer et puis ça finissait mal. Alors quand y a des gens qui demandent à Maman, innocemment : « vous avez des enfants ? » elle répond toujours en secouant la tête et dans son regard on voit quelque chose de glacé qui fait un peu peur.
Bon, mais on va pas tomber dans le mélo alors que la confinerie ça saoule déjà un max !
Pour le reste on verra demain.
