En cette période de confinement, mon ami Rodolphe Trouilleux, qui vient de rejoindre le blog vous fait part d’un journal imaginaire : « Journal d’un vieux confiné » Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, etc, les surprises sont souvent au rendez-vous et c’est un plaisir de les partager.
Trente septième jour de confinerie
Une grande nouvelle : les cloportes sont de retour ! Ce matin, dès huit heures, j’étais encore au lit avec Maman quand on a sonné, alors je ne suis dit « Tiens ? Y livrent déjà les saucisses ? Je suis descendu en pyjama, j’ai ouvert et là j’ai eu un choc : les affreux, les salopards, les bons à rien, enfin mes vieux potes d’enfance qu’étaient là en face de moi, tous les trois, derrière la grille ! Comme y z’avaient amené des croissants j’ai fait du café et on l’a bu dans le jardin, autour de la table, en respectant les distances… ! Le lancer de croissant à c’t’heure là faut viser juste !
J’étais bien content mais je les ai engueulés tout de même. Ces propres à rien y z’étaient partis au moment de la grande transhumance, sans rien me dire, comme ça, hop, avec leurs bergères !Déjà que c’était pas correc de se barrer comme ça, mais sans prévenir en plus… Et dans notre baraque qu’on a en commun, un machin qu’on a acheté comme une ruine et qu’on a retapé dans le style des chaumières de pauvre du pays, un vrai château en Espagne… Enrore une belle histoire à raconter !
Ouais, mais tout ça c’est bien beau, ils ont tellement déraillés là bas dans la confinerie que leurs gonzesses elles les ont virés comme des malpropres qu’ils sont pour rester entre elles. Alors ils ont pris leurs baluchons et y sont revenus à pied, en passant dans les chemins creux et les bois, des vrais vagabonds.Ah, ça me fait bien plaisir de les revoir ces malappris. D’habitude on se voit toutes les semaines au bistrot mais là ça sera pas possible, on trouvera bien un moyen.On a tous été élevés dans le quartier du Bois Joli, un ensemble modèle en béton de luxe pour les H.L.M., même que l’artiteque il a eu le grand prix du rhum avec tout ça. C’était mignon comme endroit et comme y avait pas d’arbres c’était bien propre aussi. A l’époque y avait pas de trafics sauf ceux des carambars, et on rigolait bien. Y paraît que maintenant c’est tout moche et qu’il y a plein de zigs qui font du commerce de déodorants dangereux et de stupéfiance en poudre. Mais je laisse tomber, tout ça c’est pas intéressant.
Maintenant mes potes y sont près de la retraite alors je leur fait envie, même si moi je touche une pension de misère. Y sont tous devenus des huiles dans leur partie : Michel il est fabricant de têtes à clous pour les pianos à queue, il en vend dans le monde entier, même en Suisse. Alain il a une entreprise de dames pipi. Bon ça pue un peu mais ça rapporte gros avec les pourliches et enfin Christophe dit Cricri, c’est un vrai monsieur qui travaille dans le cinéma des célébrités. Avant y nous disait qu’il était dans les documentaires animaliers, alors nous on imaginait qu’il était toujours dans des machins avec des animaux, genre des cochons et des singes ou des éléphants, mais un jour y a Michel qu’a vu son nom sur le Ternet dans un film qu’était un peu du genre animal vu que y avait pas mal de minets, mais on a compris qu’il nous avait un peu enflés avec ça. Bon, enfin, il fait accessoiriste dans le porno, c’est beau quand même, ça demande de la cervelle vu qui faut qu’il connaisse toutes les marques de capotes et tous les machins à piles qui vibrent et qui donnent de l’ambiance dans les coucheries.Enfin je suis bien content de les retrouver mes vieux potes de Bois Joli ! ça commençais à me prendre la tête sérieux la confinerie !Y a pas qu’à moi d’ailleurs, la femme de Lucien le beau lapin, la pauvre Mémène, elle est devenue complètement brindezingue, et pire que lui !
Comme elle s’est déguisée en grosse abeille, elle a voulu échapper à la confinerie en s’envolant. A un moment, elle a dit à ses enfants qu’elle allait butiner et elle montée sur le toit… Elle a sauté en faisant bzzzzz bzzzzz et, la pauvre, elle s’est cassé la margoulette sur le local poubelles deux étages plus bas.Elle aurait pu se tuer ! Maman elle a pleuré quand elle l’a vue partir dans l’ambulance. Les gars en blouse blanche ils étaient stupéfiés comme on dit à Bois Joli, c’était la première fois qu’ils emmenaient une grosse abeille comme ça !Heureusement qu’elle est tombée la tête la première dans les ordures, ça l’a sauvé même si ça sentait pas mal !
Le pauvre Lapin il en tremblait de tout son corps et hier soir, de contrariété, il a commencé à creuser un terrier devant chez lui !
Bonjour l’ambiance !
Alors, vous comprenez, pour le reste, on verra demain.
