Journal d’un vieux confiné… Jour 47

En cette période de confinement, mon ami Rodolphe Trouilleux, qui vient de rejoindre le blog vous fait part d’un journal imaginaire : « Journal d’un vieux confiné  »  Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, etc, les surprises sont souvent au rendez-vous et c’est un plaisir de les partager.

 

Quarante septième jour de confinerie

Aujourd’hui j’ai décidé d’aller faire un tour dans mon quartier de banlieue, histoire de faire remuer un peu mes jambes pour les varices. J’ai rempli un ozwess et j’ai mis mon masque que Maman elle m’a fait avec une ancienne veste de Dubois-Glandier qu’elle a découpé. C’est une belle couleur et en plus y a la marque en broderie dessus, on dirait comme une publicité pour les gloutes. Le temps était pas terrible mais ça faisait du bien de marcher. Mon quartier il est un peu tarte avec des maisons arrangées sur des vieilles baraques bricolées. Les couleurs elles sont spéciales aussi parce que les gens ils ont peint les façades avec des vieux fonds de pots de peinture de récup pris dans l’usine desinfectée d’à côté. Y a toutes les couleurs alors ça s’appelle les Arlequins ; C’est le coin des fauchés du porte monnaie, des niqués de la vie aussi. Y a plein de pauvres gens autour de nous, dans des bicoques bizarres comme celles des stroumpfs. A force d’avoir rajouté des tas de merdier dessus on sait plus trop comment ça tient mais c’est pas grave. Nous avec Maman on a un vrai pavillon de Molière, c’est pas pareil. Au bout de ma rue, y a la rue des impuissants et encore au bout de celle-là y a la cité achélems ; C’est sacrément vilain ce que les incapables de la mairie ils ont construit par là. La cité des Faveurs qu’elle s’appelle, tu parles d’un truc ! Ah ouais c’est vraiment une faveur d’habiter là, c’est sûr. Y parait que là-bas y a un trafic de vieux pneus et aussi de boutons de culotte, c’est pour ça qu’on n’y va jamais avec la Divine, nous on mange pas de ce pain-là. 

Non, nous on préfère aller là-haut, vers le quartier des rupins, rue des pouffiasses. Y a plein de belles maisons avec des fleurs et des poubelles de riches qui sentent bons la nourriture choisie. Et pis y a de belles bagnoles aussi, du genre de sport. 

Les gens d’ici y s’habillent pas à tarteprix, y’a du linge et du beau sur le dos des gens qu’on croise, et pis les gonzesses elles sentent bon des parfums de milliardaires. Maman elle aime pas trop, elle trouve que ça sent trop le pognon dans le coin, pourtant j’y ai déjà dit que l’argent ça avait pas d’odeur. 

Ça fait tout drôle de penser que dans ces maisons-là y a que des gens beaux et intelligents. Moi, à mon avis, comme ils ont que des choses raffinées dans leurs têtes ils doivent sacrément s’emmerder dans la vie. Un peu plus loin, rue des Tinettes, y a la villa du patron de Dubois Glandier. Ah on voit que ça rapporte la gloute ! C’est pas une baraque c’est un château, y manque plus que le pont-levis et les louves. Et quand je pense que là-dedans y a l’autre pas grand-chose de Monique, l’ancienne secrétaire. Ah elle en a fait du chemin avec ses fesses celle-là et ses gnognoteries et ses petits cafés et ses ceci-cela ! 

Moi j’y ai toujours dit à Maman que c’est elle qu’aurait dû l’avoir le patron, pas la Monique. Mais en y réfléchissant bien c’est moi qui l’ai eue, et ça c’est du bol ou je m’y connais pas.  Tiens, justement, en passant devant la propriété – les rameaux bleus que ça s’appelle – j’ai croisé la Monique et c’est bizarre, avec mon masque elle m’a reconnu tout de suite (après j’ai réfléchi, évidemment y’a Dubois Glandier marqué dessus).  Elle s’est arrêtée et elle a fait sa gentille en me disant que faudrait venir à leur barbecul la prochaine fois. Ça risque pas, la gloute et ses bons à rien je veux plus en entendre parler. Ah elle a été complètement ravalée du haut en bas. Faut dire que y avait du boulot, elle rajeunit pas comme on dit. Elle s’est fait tirer les côtés de la figure, tellement, que maintenant quand elle parle on dirait Donald des dessins animés. Faut pas qu’elle pète ça doit faire un appel d’air… Juste après je suis redescendu dans mon quartier de pauvres. Aux Arlequins on a pas de pognons mais son se marre quand on veut, et pis les gonzesses si elles ressemblent à des vieux singes c’est naturel. Et on les aime comme ça nos bonnefemmes, pas racommodées avec du fil à trois cent balles la bobine. 
C’est comme ça chez nous, on n’est pas riches, on est moches aussi, parfois, mais quand la voisine elle se casse la binette déguisée en abeille, on est inquiets et on est contents de la voir revenir. 

Ah il est blême mon quartier, mais j’irai pas crécher ailleurs pour un lampiste, même deux. 

Et pour le reste on verra demain. 

Copyright R.Trouilleux

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Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, les surprises sont souvent au rendez-vous, et c’est un plaisir de les partager.

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