En cette période de confinement, mon ami Rodolphe Trouilleux, qui vient de rejoindre le blog vous fait part d’un journal imaginaire : « Journal d’un vieux confiné » Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, etc, les surprises sont souvent au rendez-vous et c’est un plaisir de les partager.
Première jour de déconfinerie
Hier soir à minuit, y a le cocu du bout de la rue qu’a sorti sa trompette pour nous en jouer un air, histoire de dire que c’était le temps de la déconfinerie. Du coup y a plein de gens de la rue qui sont sortis pour applaudir sous la fenêtre de la petite infirmière. Y avait les couples qui dansaient ensemble et les gens seuls qui tournaient comme des dingues en souriant, même la Calamité Jeanne avec son chat. Paulot, le ras du plancher, il avait sorti sa plus belle robe à volants. Les gens étaient contents et joyeux de sortir du machin de la confinerie. Là-dessus y a le Lucien qu’est venu un peu foutre la merde. Tout en bouffant des carottes y nous a dit que fallait faire gaffe encore et que ça serait pas la fête tous les jours. Et là on a vu Mémène qu’avait remis son uniforme d’abeille et qui bourdonnait en se dandinant en passant entre les danseurs. Là j’ai vu dans le regard de Lucien Lapin qu’elle avait rechuté de sa maladie de miel et qu’elle allait peut-être rester comme ça tout le temps, alors il était triste.
Ça nous laissera pas entiers la confinerie. Le bon côté c’est que maintenant on se connait mieux dans la rue bicause les apéros des grillages et qu’aussi on en a bavé ensemble de tous les ennuis d’ozvess et des horaires de plage de promenade qui fallait marquer sur le papier.
Moi je suis content. Maintenant je sais avec qui je suis vraiment marié et qu’aussi on est partis pour finir notre vie de misère ensemble en étant heureux. Et pis en plus y a les bestioles qui sont vraiment sympas même si faut faire gaffe à ses dents avec l’asticote. Le Cui cui y griffe un peu mais c’est un bon matou. Bon, y pètent un peu tous les deux mais nous aussi alors ça sort pas de la famille.
Et je suis content d’avoir retrouvé mes potes de Bois joli. C’est important de partager des souvenirs entre vieux gars, on se connait, on a rien à prouver aux autres et on peut pousser le bouchon des bières un peu loin avec les potes et c’est bien agréable surtout au moment du barbecul.

Y a qu’avec la vioque que ça coince encore un peu même si elle fait plus gaffe maintenant et me prend moins pour le Chirac, et heureusement ça commençait à me gaver sec ! Mais elle a encore ses trucs de Belledoche et elle sait encore être désagréable quand y faudrait pas qu’elle le soit. C’est de la vieillerie qu’elle me dit Maman, faut la laisser avec ses vieilles lunes qui brillent plus des masses. Moi, comme j’y connais rien en gastronomie et aux planètes, je dis rien mais j’en pense pas moins.
Maintenant va falloir mettre des masques tout le temps dans les transports qui parait que ça sera bondé. Ça va pas être rigolo pour les gens qui sont pas en retraite la vie de tous les jours surtout à cause des bons à rien qui prennent des décisions qui en sont pas vraiment et qui font pas autre chose que de la misère.
Moi je dis ça je dis rien mais quand on dit aux pauvres gens que c’est la guerre et qu’on est plus intelligent que les autres, forcément parce qu’on parle dans la télé des crevettes, y faut donner des armes pour se défendre et arrêter de taper du point sur la table.
Marcel, mon pote qui fait la manche près du Céprix, il a été comme un coq à pattes avec la confinerie. Le jour où j’ai fait la réflexion que les gens y le regardaient pas il a récolté la bouffe pour lui et en plus pour ses potes. Du coup y va continuer son truc et y faire comme les restos du cœur, c’est bien la solidarité.
Faut dire que y’en a qu’on pas rigolé avec le virus de la Corona , qu’ont souffert, qu’ont perdu quelqu’un, qu’ont vu leur vie changer à cause de cette saloperie dont je me rappelle jamais le vrai nom. Nous on n’a rien à dire pour ça vu qu’on a traversé le machin tranquilles avec les bestioles. Et pis les voisins y z’ont rien eu même le cocu du bout de la rue, pourtant je l’aime pas mais faut pas souhaiter la misère aux pauvres gens.
(Césure)
Nous, comme les autres zigs de la rue, on est fiers de notre petite infirmière qu’est haute comme trois pommes assises mais qu’a plus de courage que des costauds de deux mètres. Elle a pas compté ses heures la gamine, elle était bien fatiguée mais elle y allait tous les jours dans le train fantôme. Elle en a vu mourir des gens, des jeunes et des plus vieux et elle a continué à faire le turbin parce qui fallait qu’elle soit là, elle avait pas le choix.
Alors avec Maman on se disait que ça serait bien que là-haut, les gens intelligents qu’ont de l’instruction et qui prennent les décisions à la place des cons comme nous, y se souviennent des gens comme notre petite infirmière et qu’ils arrêtent de leur faire la misère de la vie en leur coupant les crédits de l’argent.
Là-dessus avec Maman on a préparé notre voyage et nos valoches. Moi j’y ai mis tous les beaux habits, mes tongs réversibles qui sont tous neufs et mes souliers distingués. La Divine elle a sorti toutes ses belles robes de cérémonie pour les enterrements et elle a pris tous ses produits pour se ravaler la façade.
Les bestioles elles ont dû comprendre qu’on se barrait parce qu’elles étaient excitées comme des puces. Elles sautaient partout comme des cinglées.
On a fait une grande malle avec des provisions pour pas manquer vu qu’on sait pas ce qu’on va trouver dans notre bled perdu. Alors on a mis des bocaux de cornichons, des pâtes, du riz gluant pour l’estomac, des sauces de tomate, du Quelchupe, des soupes desinfectées, du sel, du poivre, de la farine, des zharicots, des frites en boîtes, du mou congelé, et que c’est le terra, enfin tout ce qui nous faut pour la gueule.
J’ai fait aussi des cageots de bière et de pinard pour les liquides, aves du mousseux des beaux jours et des zapéritifs de grande marque, comme Rivassol et Tartini. Comme ça on est parés.
Après on a été déballer notre bagnole citron qui sent bien bon le WC/lavandes/fleurs des bois et l’eau de javel. Ça va être bien le voyage.
On a bien préparé la vioque pour qu’elle manque de rien avec ses biscuits et sa bouteille d’eau et on l’a installée à la place du mort parce que c’est plus confortable pour ses guibolles.
Après on a chargé le matos de valoches et de malle et on a attaché les bestioles pour pas qu’elles se barrent dans la nature.
On a arrosé les pots, on a fermé les volets de la baraque et on a fermé. Ouf qu’on se disait, maintenant ça va être calme et lusque à volonté.

Les voisins y nous ont fait coucou de la main en nous disant à bientôt. Maman elle a tourné la clé du démarrage et on a décollé de là comme des sauvages.
C’était pas mal la confinerie, hein, mais, vous savez bien, tout à une…
…FIN
J’ai la nostalgie d’une de ces vieilles routes sinueuses et inhabitées qui mènent hors des villes… une route qui conduise aux confins de la terre… où l’esprit est libre…
Henry David Thoreau