Rodolphe Trouilleux -qui vient de rejoindre le blog Fille de Paname- et dont vous avez pu découvrir l’écriture tous les jours dans son : « Journal d’un vieux confiné » nous fait part de ce texte écrit il y a quelques mois, bien avant le confinement. Sensations dans un Paris que nous avons hâte de retrouver.
Rodolphe Trouilleux Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, etc, les surprises sont souvent au rendez-vous et c’est un plaisir de les partager.
It’s raining cats and dogs
Avant hier soir, mi septembre, huit heures. Il pleut des chats et des chiens comme disent si joliment les anglais. Paris a revêtu d’un coup son manteau d’automne : le vent, les feuilles tournoyantes et l’eau, collante, envahissante, intrusive jusqu’à l’indiscrétion. Un habit que chacun souhaite provisoire, doublé d’une indiscrète fraîcheur caressant l’intimité des passants, courbés sous leurs parapluies ruisselants, les pieds mouillés jusqu’aux orteils. Les trottoirs brillants de pluies, reflètent dans le désordre les lumières de la ville, feux de signalisation, devantures de commerces, offrant au promeneur attentif le reflet d’un Paris en double, vaporeux et irréel.
Je monte dans le bus 95, avenue de l’Opéra. Il n’est pas bondé et de nombreuses places vides offrent généreusement un siège pour l’errant mouillé que je suis devenu, encombré de son parapluie pliant et dont je ne sais que faire. Assis confortablement dans la partie trainante de ce véhicule articulé, je soupire, un peu gris du Chablis du café le Nemours. Bien, je suis bien.
Autour de moi, tous les voyageurs, compagnons de glisse dans ce Paris pluvieux, sont penchés sur leurs téléphones, à l’affut d’un sms porteur de bonnes ou mauvaises nouvelles, d’informations de la dernière minute, ou lecteurs attentifs de la page Facebook d’une petite amie dénudée…
Je lève le nez pour observer le bus en profondeur, vers l’avant. C’est un vaisseau perdu dans la brume du soir. La pluie dégouline toujours provoquant une buée épaisse, comme feuilletée, sur les vitres. L’aspect de Paris est devenu fantastique pour le modeste voyageur que je suis : les feux, rouges et verts, peut-être, brillent dans un halo duveteux et glissent le long du bus avant de disparaître. Mais que vend-t-on dans cette boutique aux néons multicolores ? Impossible à savoir d’autant que son image, furtive, s’efface de mon écran d’humidité… Tout semble calme autour de moi… Les bruits, glissements mouillés des pneus et emballements précipités du moteur ne sont troublés par aucune conversation.
La suspension douce nous berce, et le bus semble voler au-dessus du sol. Un arrêt, quelques personnes descendent et d’autres montent, trempées sous des chapeaux, enveloppés d’imperméables brillants, presque rutilants.
Pourquoi s’énerver sous une pluie pareille ? La fatigue ressentie par mes semblables est palpable. Ils rentrent chez eux après une dure journée. Plus de lumière du jour à cette heure, mais un éclairage artificiel atténué, parfois magnifié par l’eau.
Bien, je suis bien, toujours, comme apaisé par cette vision quotidienne d’un bus, vaisseau d’un soir pour travailleurs exténué.
Gare Montparnasse, je quitte cette nef d’un moment, qui me grille la politesse au passage clouté. Je tourne la tête tandis qu’elle s’éloigne, sous le ciel gris et déchiré d’une saison d’automne précoce, trop peut-être. Je relève mon col de veste, et il pleut à nouveau des chats et des chiens. Terminus nuit.