Ils font Paris : Interview de Jérémie Burgon, Tapissier-décorateur dans le Sud du XVème
Cette interview vous amènera à : Pousser la porte d’un atelier authentique, approcher un savoir-faire séculaire et découvrir son dialogue avec la modernité, enrichir votre carnet d’adresses de bons artisans ! Si vous vous promenez le week-end rue Dutot, les volets de bois peints en vert fermés du numéro 86 attireront sûrement votre regard. Ils sont l’écrin de l’atelier de Jérémie Burgon Tapissier-décorateur que nous rencontrons aujourd’hui.
Bonjour,
Je suis très heureuse de venir vous rencontrer pour cette interview que vous offrez à Fille de Paname. En vous voyant à l’œuvre dans votre atelier, je crois qu’on peut parler de vocation. Comment vous est-elle venue ?
Je dirais que je suis tombé dedans quand j’étais petit. Je suis d’une lignée de quatre générations de tapissiers. Petit, je voyais mon père faire des fauteuils, travailler des tissus. Comme tous les enfants souhaitant faire comme leurs parents, je venais jouer dans l’atelier avec les ressorts. J’essayais d’aligner 3 clous. J’ai choisi naturellement ce métier à 17 ans, ayant été familiarisé depuis toujours avec. Avant la Première guerre mondiale, mon arrière-grand-père travaillait aux Grands Magasins du Louvre, où les meubles étaient faits de manière artisanale, de A à Z. Au lendemain de la guerre, quand il est revenu d’Allemagne où il avait été fait prisonnier, il avait perdu son emploi, la sécurité dans ce domaine n’existant pas encore à l’époque. Il s’est mis à son propre compte dans ces années de crise et il est arrivé rue Dutot avec sa famille en 1929. Dans huit ans, nous fêterons les 100 ans de notre atelier de tapissier rue Dutot.
Même si vous dîtes être tombé dans ce métier petit, l’on ne peut pas ne pas voir vos yeux qui pétillent quand vous en parlez.
Oui, c’est important d’aimer son métier. Quand on aime son métier, on a moins l’impression de travailler et cela permet de persévérer quand il y a des contrariétés.
Une visite dans votre atelier peut donner lieu à un cours d’histoire de l’art. Nous y côtoyons, époques et milieux différents, dont vous parlez avec passion. Du meuble rustique au meuble d’apparat, chaque pièce est l’occasion de faire un voyage dans le temps. Quelles sont les trois pièces sur lesquelles vous avez le plus eu de plaisir à travailler ?
J’aime travailler de belles matières, de beaux tissus. La magie du tissu est qu’il rend chaque pièce unique, même s’il s’agit de votre centième fauteuil Voltaire ou Louis XV. Mon père ne supportait pas d’être qualifié d’artiste, mais il tenait à dire qu’il était artisan, maçon de fauteuil. Tout comme un maçon applique les techniques qu’il a apprises pour construire une maison, le tapissier construit les fondations de chaque pièce. Ce qui est agréable c’est que la couleur et la matière du tissu changent. Concernant mes réalisations qui sortent de l’ordinaire, il m’est arrivé de garnir une chaise à porteurs une expérience assez originale. Cela n’était jamais arrivé à mon père. Cette chaise à porteurs m’avait été apportée par une personne qui l’avait achetée à une vente aux enchères. Etant tapissier-décorateur, il m’est arrivé de refaire quelques appartements dans des hôtels particuliers, des ambassades et des châteaux. Tout ce qui est tissu d’ameublement est alors refait, depuis la tenture murale jusqu’au mobilier, en passant par les décors de fenêtres, les rideaux, les voilages, les coussins, les fauteuils et canapés. C’est agréable d’être dans l’exceptionnel. Un jour, j’ai également refait une salle de cinéma. Il y avait déjà une isolation sur les murs, donc mon travail était plus esthétique, avec du tissu non feu, pour respecter les normes. Il m’est arrivé de travailler avec du tissu isophonique, qui absorbe le son, notamment pour les salles de restaurants.
Vous faites revivre ainsi de magnifiques pièces, témoins de notre histoire et votre métier comporte, outre le travail manuel, une part de recherche documentaire.
Nous suivons, lors de la formation de tapissier-décorateur, une formation générale en histoire de l’art, spécialisée dans le mobilier, notamment dans les fauteuils. C’est aux XVIIIème et XIXème siècles que les tissus sont le plus utilisés et le plus aboutis. Nous apprenons comment travailler les différents tissus sur un support. Ce n’est pas la même chose de travailler une soie, un velours ou un tissu imprimé. Il s’agit de techniques à connaître plus que de faire de la recherche. En revanche, il faut connaître les nouveautés en tissus. Nous travaillons par ailleurs des matières vivantes telles que le cuir, mais aussi des matières synthétiques. La manière dont nous tapissons n’a pas évolué : je plante les clous comme le faisait mon arrière-grand-père. Ce sont les matières qui ont changé pour ce qui est des tissus synthétiques. Il y a tout de même deux techniques différentes concernant le montage : le montage traditionnel et le montage mousse. J’utilise pour ma part le montage traditionnel. Le montage mousse est utilisé pour le travail en grandes quantités, comme pour la restauration par exemple. On acquiert de la rapidité en pratiquant. Une mise en crin fastidieuse au départ, sera ainsi faite plus vite avec l’expérience.
Quelles sont les deux qualités nécessaires à toute personne excellant dans le métier de tapissier-décorateur ?
Il faut être manuel et être intéressé par ce qu’on fait. Nous n’avons pas besoin de beaucoup de force dans les bras pour exercer notre métier. Même si notre métier est plus du côté tapissier que du côté décorateur, une mise en avant stéréotypée de ce deuxième volet explique sans doute que nous soyons passés d’un métier complètement masculin, à une féminisation importante, puisque les écoles comptent désormais 80 % de femmes. Originellement, nous avions deux options au sein de la formation de tapissier-décorateur. L’option garniture, souvent réservée aux hommes et demandant plus de force dans les bras et l’option couture, réservée aux femmes, qui travaillaient plus avec leurs doigts. La tapissière faisait donc tout ce qui est dans le mou : les rideaux, les voilages, les coussins, tandis que l’homme travaillait dans le dur. Nous fonctionnons ainsi avec ma tapissière, qui peut me faire des choses très complexes, tandis que je fais des choses très basiques en couture puisque ce n’est pas ma spécialité.
Que conseilleriez-vous à un/e jeune qui envisagerait de devenir tapissier-décorateur ?
Je lui conseillerais de faire tout d’abord un stage pour être sûr que l’idée qu’il se fait du métier est proche de la réalité. Même si nous travaillons dans l’artisanat, c’est de la production. Nous vivons plus de la production que du conseil en décoration. Lorsque l’on travaille directement avec le client comme c’est mon cas, il y a une partie commerciale, de conseil. Le but est de proposer au client un tissu qui va lui convenir esthétiquement et dans l’usage. J’aime aussi ce côté.
Paris : Avez-vous un avis sur l’évolution de Paris ces dernières décennies ?
Je dirais que mes grands-parents, parents et moi petit, vivions dans un Paris où il y avait encore un esprit de village dans chaque quartier. Cela a changé.
Quels endroits de Paris conseilleriez-vous aux amoureux du beau ?
Dans notre si belle ville, je conseillerais tout simplement de s’y perdre, comme l’on peut le faire à Rome ou à Venise et de rentrer dans les boutiques d’artisans. Qui sait si l’on ne se retrouvera pas, au fond d’une impasse, face à un atelier d’ébénisterie ou de gravure…
Merci Jérémie !
Agnès Falco pour Fille de Paname J’aime l’Italie, peindre et écrire des poèmes. Je prête aussi ma voix au collectif de comédien.ne.s Amazing Women, qui propose sur scène et en libre écoute des vies de femmes exceptionnelles, écrites et scénarisées par Karin Damas. La page Meetup du collectif compte plus de 3800 abonné.e.s https://www.meetup.com/fr-FR/amazingwomenfrance/