Oleanna, la pièce de David Mamet, trouve tout son sens dans notre époque actuelle. Comme si le dramaturge avait anticipé tous les bouleversements sociaux de notre siècle, entre le mouvement #metoo et ses dérives et la cancel culture. Un huis-clos prenant à découvrir jusqu’au 30 octobre au théâtre de la Croisée des Chemins.
Un décor rudimentaire. Deux chaises, un bureau, un fauteuil, un porte-manteau et rien d’autre. Le plateau est presque nu et cela suffit. Car l’important est ailleurs, dans l’intensité de ce qui va être dit, de ce qui sera tu, de ce qui sera montré ou ce qu’on devinera. Ces événements d’ailleurs vont-ils réellement avoir lieu. Aurons-nous vraiment conscience de tous les enjeux qui vont être soulevés ? Serons-nous complices des terribles conséquences qu’aurons un mot, un geste, pas forcément déplacés mais qui vont bouleverser le cours de l’existence des deux protagonistes ?
Avec Oleanna, on pénètre dans une guerre silencieuse qui ne dit pas son nom. Une guerre des sexes, des générations, des classes sociales. Carol est une élève de 20 ans en difficultés, issue d’un milieu social défavorisé, convoquée par John, un de ses professeurs, en cours de titularisation, à qui tout semble réussir : une famille, une situation, une maison en cours d’achat. Carol a l’impression de ne rien comprendre au cours de John, d’échouer à ses examens. Elle est en colère. Une colère qui la ronge sans qu’elle ne parvienne à l’exprimer. Elle ne demande qu’une seule chose : être comprise de ce professeur si brillant, qui a publié un livre que les étudiants doivent lire en cours. Ce dernier est un peu fât de lui-même. Mais peu à peu, il est touché par la détresse de Carol. Il tente de la consoler, dévoile des pans de sa vie tapie sous une couche d’arrogance, quitte à la prendre une seconde dans ses bras, à poser une main sur son épaule. Les gestes de trop. Carol va ensuite crier au viol et la vie de John va basculer à tout jamais et détruire tout ce qu’il avait construit. À juste titre ?
Le dramaturge et réalisateur américain David Mamet marque un coup de maître avec Oleanna, écrite en 1994. La pièce semble avoir été écrite à notre époque, celle où le moindre mot peut être mal interprété et se retourner contre son auteur, celle où les victimes sont encore trop peu écoutées paradoxalement, celle où l’on tente de réécrire notre histoire en effaçant ce qui l’a pourtant édifiée. Une pièce visionnaire, un huis-clos angoissant et prenant comme un film noir. Elle est ici servie par une mise en scène subtile de Violette Erhart et par une distribution au cordeau (Kevin Goualbault et Roxane Davidson ou Nadia Sharshar en alternance). Au final, on ne sait qui est le bourreau et la victime. Les avis fluctuent en permanence. On entre tantôt en empathie pour les deux protagonistes, parfois en antagonisme. En somme, une pièce qui ne laisse pas indifférent et dont on ne sortira pas indemne. Comme ces deux anti-héros de la vie de tous les jours…
Au théâtre de la Croisée des chemins, 120 bis rue Haxo 75019 Paris.
Jusqu’au 30 octobre, les samedis à 17h.