Exquise marquise !
Retracer la vie de Melle Du Parc, dite Marquise, danseuse et comédienne pour Molière et Racine, relevait de la gageure. Chloé Froget réussit ce pari haut la main, en proposant un spectacle en grande partie en alexandrins, fort bien troussé et dans un décor de bonbonnière. Aime comme Marquise, ou un hymne à l’amour et à la liberté.
Sur la scène du théâtre de la Bruyère, un décor surélevé tout en boiseries et en délicatesse. Une femme toute de blanc vêtue y semble répéter un texte en silence. Marquise est déjà là, attendant son public venu tout à sa cause. Elle est interrompue par l’intendant du roi Nicolas de La Reynie qui souhaite lui poser quelques questions sur la paternité des œuvres de Molière qu’elle a bien connu. Sont-elles réellement de lui ou plutôt de Corneille ? Pour y répondre, elle nous conte sa vie et un double d’elle-même, plus jeune et en guenilles, fait son apparition. Le tout, en prose et souvent en alexandrins. Quoi de plus naturel en une époque où Corneille était le maître des tragédies à douze pieds, alors que Molière n’était pas encore en état de grâce au sein de la cour ?
La vie de Thérèse de Gloria, dite Marquise ou Melle Du Parc avait déjà connu les honneurs d’un film fort peu réussi de Véra Belmont en 1997, avec Sophie Marceau dans le rôle-titre. Danseuse et actrice, amoureuse perpétuelle, éprise de liberté, épouse de Gros-René (l’un des comédiens-phares de la compagnie de Molière), maîtresse supposée de ce dernier, objet de désir de Corneille et future maîtresse de Racine une fois devenue veuve, la vie de Marquise est digne d’un roman, elle qui a fréquenté de près les plus grands hommes de lettres de son époque. La pièce y rajoute également les noms de Jean de La Fontaine (rencontré lors de la fameuse fête de Vaux-le-Vicomte), de Louis XIV et du mousquetaire d’Artagnan. N’en jetez plus ! Et pour incarner tout cet illustre monde, seulement quatre comédiens, tous brillants, réussissant le tour de force de nous faire oublier qu’une grande partie du texte est en pieds et en vers. Aurélie Noblesse et Chloé Froget incarnent avec émotion et sensualité, simultanément ou tour à tour et sur deux époques différentes, la belle Marquise. Et l’on comprend aisément grâce à ces deux comédiennes, pourquoi elle a fait tourner bien des têtes…
De sa découverte en tant que jeune femme sans le sou, mais prête à tout pour briller, à son firmament en tant qu’Andromaque pour Racine, la trajectoire de cette étoile filante (elle meurt à 35 ans des suites d’un avortement qui s’est mal déroulé) est fascinante. Et c’est par son entremise que tout le génie de Molière rejaillit. Si le doute persiste encore sur l’identité du véritable auteur de ses pièces les plus illustres (comme il en est de même pour Shakespeare, le talent étant toujours suspect), Aime comme Marquise est une pièce qui tombe à point nommé pour célébrer le 400e anniversaire de sa naissance. Un spectacle tout en délicatesse, humour et sensualité que le maître de la comédie n’aurait pas renié…
Théâtre La Bruyère (5 rue La Bruyère 75009 Paris), les dimanches à 16h et les lundis à 20h jusqu’au 20 juin.
