Haute voltige !
Le nouveau spectacle du danseur et chorégraphe Rachid Ouramdane, Corps extrêmes, est une ode vertigineuse à la liberté et au lâcher prise où sont convoqués à la fois les arts circassiens et la danse contemporaine. Une heure de grand frisson et d’émotion à découvrir absolument au Théâtre national de Chaillot jusqu’au 24 juin.
En guise de décor, un immense mur de varappe immaculé sur lequel sera bientôt projeté un court-métrage documentaire autour du funambule Nathan Paulin. Le voici en plein coeur de la nature, traversant sur un fil ténu un gouffre dont il vaut mieux ne pas connaître la profondeur. Il nous raconte en voix-off tout ce qu’il ressent pendant cette performance à la fois sportive et psychologique et cette communion avec les éléments et son propre corps, entre le vent qui le balance, tantôt allié, tantôt ennemi, ses pieds qui glissent sur la corde, rompus à pareil exercice et ses bras qui se balancent tantôt à gauche, tantôt à droite, pour lui permettre de garder l’équilibre. Sa parade dans les airs à peine achevée, voici que Nathan Paulin apparaît sur scène, toujours perché sur son fil, vêtu de la même manière que lors du film qui vient d’être projeté. Les spectateurs commencent à prendre leur souffle pour une heure d’apnée artistique. Car Nathan est bientôt rejoint par neuf danseurs et danseuses, acrobates chevronnés, artistes circassiens qui virevoltent avec grâce le long du mur, se laissant tomber en défiant la gravité, prise par prise.
Le reste du spectacle sera un ballet étonnant et inédit dont Rachid Ouramdane a le secret et où la force le dispute à la fragilité. Force des porteurs qui ont parfois la responsabilité de deux personnes sur leurs épaules avant que ces dernières ne rejoignent le mur pour des pirouettes improbables et toujours esthétiques. Fragilité de ces artistes dont on devine qu’un faux pas d’un seul millimètre pourrait mettre en péril toute leur chorégraphie aérienne. Ils donnent pourtant toutes et tous l’impression d’un naturel à toute épreuve, communiquant au public leur joie enfantine (mais contenue et concentrée) de jouer ainsi à chats perchés. Ils ne font qu’un avec le mur de varappe tout comme Nathan Paulin est en fusion avec son fil. Parfois, ils tentent de le rejoindre, de le toucher au moins du bout des doigts, comme si les corps terrestres essayaient d’atteindre leur corps astral, fantasmant sur l’envie de voler à leur tour, au-dessus des autres, loin de toute contingence physique.
Tout semble aller vite, l’oeil ne sait plus où s’attarder face à ces acrobates-danseurs qui courent, voltigent, s’étreignent, se séparent, se retrouvent, bouleversent tous les codes et les conventions, se dispersent, se regroupent, s’accrochent au mur comme des aimants lancés sur une surface métallique et s’en décrochent avec une facilité confondante, en une sensualité chaste et innocente. Des corps extrêmes certes, mis au supplice pour la beauté du geste, mais semblant en réclamer toujours davantage. Des artistes sidérants. Et finalement, bouleversants.
Corps extrêmes, au Théâtre national de Chaillot (1 place du Trocadéro 75016 Paris), mardi 21, mercredi 22 et vendredi 24 juin à 20h30, jeudi 23 juin à 19h30.
