Muet d’admiration !
Que reste-t-il de Max Linder ? Un cinéma situé sur les Grands Boulevards. Une des premières stars du muet tombé dans l’oubli au fur et à mesure que Charlie Chaplin prenait la lumière. Un destin tragique, succombant aux démons de la jalousie et de la folie. Et un spectacle, désormais, sobrement intitulé Max, avec un Jérémy Lopez aussi éblouissant que bouleversant.
Un homme nu, plongé dans la pénombre, soliloque. La raison semble l’avoir abandonné. Son passé ne se rappelle à lui que par bribes, de plus en plus précises, toutefois. Est-il un aliéné laissé là, dans sa cellule ? Un fantôme dans les limbes de l’oubli qui tente de se frayer un chemin vers nous ? Ou au moins vers sa fille Maud qu’il croit reconnaître, par le biais d’une fenêtre étroite ? Car tout à coup, il renaît, devant nous, se rhabille petit à petit, au fur et à mesure qu’il nous raconte son passé dont chaque souvenir s’entrechoque, jusqu’à se retrouver en élégant complet-veston, redingote et chapeau haut-de-forme. Sa moustache, bien visible, qui fut sa marque de fabrique, confirme son identité : Max Linder lui-même, pour nous servir.
Sa crainte d’avoir été oublié depuis sa disparition (et même avant) est au coeur du spectacle. Car malheureusement, si son nom évoque encore quelque chose de lié au septième art (après tout, un cinéma porte toujours ses lettres), il n’a pas marqué autant les mémoires, traversé les décennies, que ceux des autres stars du muet, tels les Douglas Fairbanks, les Buster Keaton et surtout, les Charlie Chaplin. Le clochard céleste se revendiquait pourtant de Linder qu’il admirait, avant que ce dernier ne se retrouve totalement sous son ombre. La faute à une santé fragile, autant physique que mentale. Qui va le conduire progressivement à sa perte. Perte de son argent, de son art, de sa notoriété, de sa vie, puis de son identité.
Dans ce spectacle d’une grande sobriété, on est suspendu aux lèvres (et à la moustache) de Jérémie Lopez, qui quitte l’écrin de la Comédie Française pour redonner vie à l’un de nos grands histrions du théâtre, puis du cinéma. Et rien n’est occulté, dans le texte de Stéphane Olivié Bisson, également metteur en scène. Ni l’enfance de Max qui s’appelait encore Gabriel-Maximilien Leuvielle, ni ses premières années à tenter de se faire connaître au théâtre, ni sa montée en puissance au cinéma grâce à ses gags inventifs, ni sa mobilisation ratée lors de la Première Guerre mondiale, ni ses deux conquêtes de l’Amérique soldées l’une par des problèmes de santé, l’autre par un succès qu’il a désiré unique. Surtout, il n’épargne pas la folie naissante. Celle de l’amour pour une jeune fille mineure, celle de la jalousie maladive, celle des tentatives de suicide avant que la dernière ne soit la bonne.
Par-delà la mort, son espérance de ne pas être oublié l’anime toujours. Sa fille, Maud Linder, a d’ailleurs tout fait pour que le nom de son père qu’elle n’a quasiment pas connu, ne soit jamais effacé. Le monde du septième art se souvient encore de cet artiste aux 500 films dont les trois quart ont hélas été perdus. Jean Dujardin s’est inspiré de lui pour son personnage dans The Artist. Et tant pis si les jeunes générations ne voient en Linder qu’un monument de pierre désormais. Au moins, Jérémy Lopez, criant de vérité, s’empare de ce personnage comme il le ferait de tous ceux du théâtre classique qu’il a déjà embrassés. Il lui donne sa chair et son âme, revêt ses guêtres, ne le juge jamais, même quand sa raison le quitte, l’accompagne dans ce long voyage vers le passé, vieux de plus d’un siècle. Il redonne envie de se plonger dans une vie faite de grandeur et de décadence, de rêves immenses et de déceptions tout aussi grandes. Max Linder est mort, vive Max !
Max, au théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris. Jusqu’au 9 octobre, du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h30. Relâche le 1er octobre.
