L’autrice queer Lauren Delphe vient de publier son tout premier roman choc, Faite de cyprine et de punaises autour d’une jeune femme d’aujourd’hui, aux amours chaotiques et handicapée de la main droite. En attendant de la rencontrer lors d’une prochaine séance de dédicaces, elle a bien voulu nous faire part des coups de coeur de sa vie.
Un album de musique ?
Le premier album de Tracy Chapman en 1988, pour l’optimisme calme et assuré de sa voix et sa façon de peindre l’amour – collectif – comme moteur de survie et de justice sociale.
Une chanson ?
No One’s Little Girl des Raincoats, parce que la colère se révèle toujours d’une grande aide pour faire face à (l’absence de) certaines familles.
Un clip ?
Amour Censure d’Hoshi, pour le génie lesbien derrière l’acte de recouvrir ces images de la Manif pour tous avec un tel texte sur la sincérité de notre communauté queer.
Un film ?
Go Fish de Rose Troche, qui montre avec beaucoup de tendresse la vie quotidienne d’un groupe d’amies lesbiennes dans les années 90 (tendresse qui compte double lorsque le film est découvert à 6h du matin au cinéma La Clef, avec un parterre de gouines qui rient aux éclats).
Une série ?
Ma dernière trouvaille serait This Close de Shoshannah Stern et Joshua Feldman, sur la nécessité de l’interdépendance dans une société validiste – ceci est ma propre interprétation, on pourrait également parler d’amitié et de relations amoureuses, mais la beauté de la série se trouve dans la manière dont les deux personnages sourds essayent, ensemble et difficilement, de se créer une place dans un monde validiste, puis de se réconforter, ensemble et difficilement, pendant qu’iels font face à ce monde qui reste inaccessible.
Un documentaire ?
Crip Camp par James de Lebrecht et Nicole Newnham, disponible sur Netflix et nommé pour un Oscar (finalement remporté par un documentaire sur les poulpes, si nous avions encore un doute sur le validisme de l’industrie), portant sur le mouvement de désinstitutionnalisation dans les années 1970. Le militantisme handi qu’il dépeint (porté notamment par Judith Heumann), nourri par les contributions de tous.tes dans un contexte d’accessibilité universelle, incarne le modèle que je souhaite au militantisme français actuel.
Un livre ?
Nevada d’Imogen Binnie, où la protagoniste Maria fuit toutes ses responsabilités en volant la voiture de son exe, puis en aidant une adolescente croisée sur son chemin à réaliser qu’elle est également trans, car son identité est la seule chose qu’elle maîtrise encore – qu’il est réconfortant et facile de s’identifier à cette façon élégante de se dérober à ses propres problèmes.
Feminist, Queer, Crip d’Alison Kafer, mon livre de chevet. C’est une révélation qui a fait exploser ma vision du monde, comme l’avait fait la découverte du féminisme dans mon enfance. Kafer met en lumière les présupposés qui soutiennent la dépolitisation du handicap, et démontre qu’en associant l’absence du handicap à un avenir meilleur, sa présence signale au contraire un futur médiocre et indésirable. Elle conteste ce discours culturel et revendique le droit d’être fière de son identité et de se construire un futur handicapé, en reconnaissant le handicap comme un lieu d’engagement politique.
Une bande dessinée / un manga ?
Le Bleu est une couleur chaude de Julie Maroh, parce que je ne suis que faiblesse face aux cheveux bleus d’Emma (et pour les récits écorchés, pleins de puissance et de tendresse).
Nana de Ai Yazawa, qui donne envie de tout quitter pour poursuivre ses rêves de grandeur sur une scène où chanter toutes ses convictions à gorge déployée.
Une exposition ?
Je n’en fais que très peu, mais j’ai très envie de voir 7 rêves de dykes & faggots loin de chez eux au Palais de Tokyo. La description fait rêver : « On rêve, on chantonne, on blague et on pleure, on se met cul nul, on bouffe l’obscurité et on s’épanouit comme des miracles de la vie. On est les enfants exilés, les gouines et les pédés. On a quitté la maison pour rentrer chez nous. Venez rêver avec nous ! ».
Une photographie ?
Self portrait dancing on the balcony at night in my oodie, du livre Puberty de Laurence Philomène (ou également le projet Puberty dans sa totalité, pour être honnête), qui symbolise tout ce qui m’est le plus cher de Tio’tia:ke / Montréal : la douceur de ses paysages et de ses habitant·es.
Un spectacle ?
La lecture de Don Quichotte, Le voyage sans fin à la Maison de la Poésie par l’association des Ami·e·s de Monique Wittig, où nous étions tous.tes autour du feu à écouter Suzette Robichon nous assurer qu’elle partagerait volontiers son pain avec nous, si nous devions essuyer le rejet de la société hétéronormée.
Un plat préféré ?
Un petit déjeuner d’Isa Chandra Moskowitz, probablement du tofu brouillé avec des pommes de terre sautées.
Une activité sportive ?
Assurément du Roller Derby, depuis les gradins.
Une citation ?
« Your silence will not protect you » d’Audre Lorde (soit, « Votre silence ne vous protégera pas »). La suite est tout aussi importante : « But for every real word spoken, for every attempt I had ever made to speak those truths for which I am still seeking, I had made contact with other women while we examined the words to fit a world in which we all believed, bridging our differences. »
Et car je ne sais pas m’arrêter, un rapide « Your world has taught me nothing » d’une chanson mal titrée (car validiste) des Bikini Kill, sur l’absurdité du patriarcat et de ses enseignements. La brutale honnêteté de ces paroles : « Votre monde ne m’a rien appris ».
Une maxime dans la vie ?
Oui, les premiers vers du poème Wild Geese de Mary Oliver :
“You do not have to be good.
You do not have to walk on your knees
for a hundred miles through the desert repenting.
You only have to let the soft animal of your body
love what it loves.”
Maladroitement traduits ci-dessous :
“Tu n’as pas besoin d’être sage.
Tu n’as pas à marcher à genoux
Sur des kilomètres dans le désert pour te repentir.
Tu dois seulement laisser le doux animal qu’est ton corps
aimer ce qu’il aime.”
Votre actualité ?
Mon premier roman chez les Éditions Ixe, Faite de cyprine et de punaises, qui aborde tout un éventail de thèmes – entre autres : le sexe, l’amour, le soulagement et la joie d’être lesbienne, mais également la lesbophobie et le validisme familial, la perception de soi à la suite de relations abusives, la dépression et le combat au quotidien pour se maintenir en vie.
Merci Lauren !
