Du côté ce chez Marcel
En prenant pour socle le témoignage de Céleste Albaret qui a servi Marcel Proust dans les dernières années de sa vie, Ivan Morane livre avec Monsieur Proust un seule en scène délicat, porté par la prestation habitée de Céline Samie. Un hommage vibrant à l’auteur inoubliable d’A la recherche du temps perdu.
2022 ne marqua pas seulement les 400 ans de la naissance de Molière. C’était aussi la commémoration du premier centenaire de la disparition de Marcel Proust, à l’âge de 51 ans. Entre expositions et pièces de théâtre, l’auteur du roman Du Côté de chez Swann a été merveilleusement célébré. Aussi discret que ses livres sont connus, Proust n’en finit plus de fasciner. Dès son décès, on a voulu percer le mystère de ce dandy parisien dont les écrits auto-fictionnels mettaient en avant (et parfois au pinacle) les grands de son monde. Aussi, sa gouvernante et confidente depuis huit ans, Céleste Albaret, a-t-elle été fort sollicitée pour raconter sa vie intime avec Marcel Proust, ce dont elle se refusera par respect pour lui, pendant de longues années. A l’aube de sa propre mort et pour contrer tous les articles et livres égratignant le célèbre écrivain, elle décida de consigner ses mémoires et rétablir la vérité.
Ivan Morane décida de les adapter pour la scène, à travers le regard et la parole seuls de Céleste. Mais celles et ceux qui viendraient voir Monsieur Proust pour avoir des révélations croustillantes risquent d’être fort désappointés. La gouvernante partage simplement son quotidien, répétitif, avec le grand homme, alors que malade, il s’enferme jour et nuit dans son bureau pour achever sa Recherche. Ce sera son leitmotiv avant sa mort : mettre un point final à son œuvre, afin de ne pas l’avoir commencée pour rien. Il ne restera en vie que pour la terminer.
Tantôt intimidée, exaltée, passionnée, émerveillée, émue, Céline Samie incarne avec passion cette gouvernante inébranlable, jamais impressionnée par les quelques extravagances de son maître, ni par les illustres hommes qui sonnent à la porte, comme André Gide ou l’éditeur Gallimard. Céleste, toujours respectueuse, n’égratigne jamais Marcel Proust, même dans ses lassitudes ou ses emportements. Elle l’aide à écrire, à trouver des astuces pour qu’il puisse ajouter les nombreuses annotations à ses textes, à s’aérer, quitte à oublier sa propre vie, son mariage, son existence de femme. Marcel et Céleste vivent en reclus, comme un couple qui ne partagerait simplement pas la même couche. Elle est à la fois une sœur, une mère, une épouse, la panseuse de son âme tourmentée.A mille lieues de l’irrévérencieuse Célestine du Journal d’une femme de chambre, autre gouvernante donnant à voir l’intimité de ses maîtres, Céleste Albaret est une ombre apaisante, caressante, enveloppante. Elle est le dernier témoin d’une époque, d’un auteur célèbre doublé d’un homme fragile, délicat, au talent infini. Et Monsieur Proust est autant un hommage à l’écrivain qu’à celle qui a veillé sur lui. Il était temps, aussi, de la mettre elle en lumière. C’est aujourd’hui chose belle et boien faite.
Monsieur Proust, au théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris. Jusqu’au 27 novembre, du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 15h30.
