
Bonjour Sagan
Si l’on connait Caroline Loeb comme chanteuse, on peut la découvrir comme comédienne au Petit Montparnasse dans un seul en scène “Françoise par Sagan”. Elle a construit le spectacle à partir d’interviews de l’auteure publiés chez Stock, « Je ne renie rien » dans lequel elle incarne Françoise Sagan avec délicatesse et intelligence.
Incarner Françoise…
C’est en confiant la mise en scène à Alex Lutz que Caroline Loeb a fait un choix judicieux. Ce dernier propose une direction d’acteur remarquable de finesse et de sobriété ce qui permet à l’actrice de ne pas tomber dans la moindre caricature ou fausse note. Tout passe par le travail du corps et Alex Lutz a dirigé l’actrice en l’aidant à trouver une économie de geste, une sorte de contrainte dans le corps qui fait revivre la silhouette si particulière de cette femme intelligente, libre et percutante. Cette façon de fumer, de croiser ses bras, cette façon d’être reconnaissable entre mille nous évoque avec sensibilité l’écrivaine médiatisée.
Son phrasé unique n’est pas non plus imité mais suggéré. Le rythme est rapide, et Caroline Loeb a trouvé sa propre musique pour nous livrer les pensées de Sagan. Elle a adopté ce débit étrange, rapide et saccadé. Il y avait aussi chez l’auteur de “Bonjour tristesse”, cette manière toute en retenue de nous parler de choses qui pourraient sembler légères, mais qui dérivait sur des réflexions très profondes et justes. L’actrice nous cueille avec émotion tout au long de ce brillant monologue .

De la délicatesse
La douce insolence et la justesse de sa pensée de femme-écrivain est livrée par la comédienne dans une belle intimité avec le public. Pour créer ce climat, les lumières d’Anne Coudret sont magnifiques. D’élégants clairs obscurs nous emmènent hors du temps et de l’espace pour laisser toute la place à la réflexion, à la liberté de parole et aux fulgurances de ces interviews.
Le public se retrouve ainsi envoûté par le flot des mots de cette femme brillante lorsqu’elle dénonce les dérives de la télévision, la fin de certains idéaux humanistes, et prouve sa lucidité sur sa propre vie, ses addictions. Nous nous retrouvons au plus près de sa vision, du prisme original et plein d’humour à travers lequel elle observait la vie. Intellectuellement brillante et si drôle, elle nous livre ainsi sa vision de l’amour, de nos fragilités, de la difficulté d’être, et puis de son goût immodéré pour le jeu, de son mépris pour les préoccupations financières.
Une réussite théâtrale
Il y a une forme d’humilité chez Sagan, qui transparaît et c’est certainement le plus touchant dans ces interviews. De la même façon, Caroline Loeb a abordé cette incarnation avec une grande justesse, une sincérité absolue et l’audace qu’il fallait pour oser le pari. On comprend l’attachement qu’elle a éprouvé pour la femme et l’oeuvre, et ce désir de porter ce très beau projet.
Nous sommes charmés et ressortons plus intelligents et plus sensibles du Petit Montparnasse après ce moment de grâce.
Théâtre Montparnasse et Petit Montparnasse