Le peintre qui avait le Bourdon…
Pièce sur la filiation et la création, Les Inséparables est un spectacle aussi drôle que touchant, à découvrir au Théâtre Hébertot. Il met en scène un Didier Bourdon en proie aux affres du doute et une Valérie Karsenti à la fois muse et artiste. Le tout, sur deux temporalités différentes. Un véritable voyage dans le temps et les sentiments…
Gabriel Orsini est un peintre de renom. Orphelin de père et de mère, il a grandi sous la coupe de son grand-père Samuel, un banquier qu’il trouvait impitoyable et qu’il s’est échiné à fuir toute sa vie, se réfugiant dans l’art et la création. Mais l’inspiration s’est épuisée. Il ne peint plus. Depuis trop longtemps selon Maxime, son galériste. Un état de dépression qui va peut-être changer, puisque le jour de ses 50 ans, Gabriel reçoit un étrange cadeau : un duplex transformé en atelier d’artiste et qu’il découvre en compagnie de son fils Abel, avec qui les liens se sont quelque peu distendus. Mais cet atelier recèle bien des surprises et il se pourrait bien que ce cadeau ne soit pas le fruit du hasard…

Tout d’abord, ce qui impressionne avec Les Inséparables, c’est le décor. Majestueux, impressionnant, tournant sur lui-même au gré des scènes et en arrière-fond, un écran géant donnant l’impression de se retrouver plongés en plein coeur du quartier Montparnasse, celui où les peintres d’antan se donnaient rendez-vous. En général, un tel décor écrase la scénographie et sert de gadget en trompe l’oeil. Pas ici, il est un personnage à lui-seul. Il couvre les amours de Samuel Orsini, le grand-père de Gabriel (Didier Bourdon donc, dans un double rôle sur deux époques différentes) avec Sacha, une femme peintre à l’accent slave qui le fascine et dont il est éperdument amoureux. D’ailleurs, cet écrin, cet atelier, il va le lui offrir, pour lui permettre de s’éclore en tant qu’artiste. Lui, le banquier, lui qui refusera plus tard que son petit-fils Gabriel se lance à son tour en tant que peintre.

Entre passé et présent, la mise en scène fluide de Ladislas Chollat se fond avec le décor. Elle est comme ce dernier, virevoltante et subtile. Les Inséparables, en plus d’une grande histoire d’amour, est avant tout un questionnement sur la création, ce qui l’anime, ce qui l’éteint. Mais aussi sur la filiation. Gabriel est à un tournant de sa vie où il est en colère à la fois contre son passé (son grand-père, dont il découvre les amours tumultueuses) et son présent (son fils, qu’il n’a jamais cherché à comprendre et qu’il rabroue gratuitement). Il est surtout en colère contre lui-même, lui qui ne parvient plus à peindre, lui qui n’a jamais oublié le souvenir de sa mère partie trop tôt, lui qui en vient à se brouiller avec son ami Maxime qui lui a jadis permis la gloire.

Si on rit souvent de cette comédie humaine (qui n’est pas dénuée de bons quiproquos d’usage), on est surtout souvent touchés. D’abord par ces personnages qui s’aiment, se parlent, mais ne se comprennent pas (Gabriel et Abel, Samuel et Sacha), mais aussi par la roue inéluctable du destin. Les jours heureux succèdent à la peine, à moins que cela ne soit surtout l’inverse. Une roue où tout est éternel recommencement, comme une toile blanche qui ne demande qu’à être peinte. Didier Bourdon, qui cabotine aux premières répliques, devient de plus en plus imprégné par son double rôle, en vieux lion dur et capricieux, mais dont les griffes ne lacèrent plus depuis longtemps. Face à lui, Thierry Frémont est épatant en agent/ galériste masochiste, prêt à tout endurer pour aider son ami à retrouver le chemin des pinceaux et à se réconcilier avec son fils. Mais surtout, impressionnante, régnant sur la pièce avec une émotion renouvelée à chaque instant, Valérie Karsenti campe une Sacha fantasque et grave, à mille lieues de son personnage de Liliane dans Scènes de ménages. Elle est le ciment de ces Inséparables, le socle d’une pièce où se reflète l’ardent désir de la création. Une réussite.
Les Inséparables, jusqu’au 20 mai 2018, du mercredi au dimanche. Du mercredi au samedi à 21h, le samedi également à 16h30 et le dimanche, à 16h.
Théâtre Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, 75017 Paris.
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