
Quand Péguy laisse sa place à Charles…
Pari audacieux que de monter un seul en scène entièrement consacré à Charles Péguy, poète et essayiste quelque peu oublié du grand public. Mais le pari est relevé haut la main, grâce à une interprétation sans faille et un système narratif audacieux.
Un spectacle sur Charles Péguy a de quoi étonner. Car le poète s’est fait un peu oublier du grand public, l’homme politique (car il était doté de fortes convictions qui manquent de nos jours) encore davantage. Tout juste Bruno Dumont avait tenté de le remettre au goût du jour avec sa comédie musicale Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc, remarquée à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes l’an dernier, sur des textes de Péguy, féru de la paysanne qui entendait des voix. Sans succès. Mais très rapidement, on entre dans le jeu. Car finalement, ce n’est pas véritablement à un biopic sur Charles Péguy auquel on assiste. Ce dernier est d’ailleurs une sorte de prétexte, de fil rouge pour raconter une époque, la sienne. Celle où la gauche luttait contre les extrêmes, celle où il s’en suffisait d’un rien pour que tout s’embrase. Celle où tout finit par éclater tout de même, à l’image de la Première Guerre mondiale, où Péguy va périr en militaire dès 1914. Mais il l’ignore encore. Il raconte ici son histoire à un journaliste venu l’interviewer. Et il n’oublie aucun détail : ni son enfance pauvre entouré de sa mère et sa grand-mère, ni la rencontre avec sa femme, ni sa petite librairie où il tente de vendre des brûlots politiques, ni ses élans poétiques. Le tout sur un procédé cinématographique, avec flash backs et voix-off féminine douce, qui contrebalance avec le fait qu’un seul homme se trouve au centre de toute l’attention.

Bertrand Constant, déjà aperçu dans les séries Engrenages et Un village français, est formidable de justesse de bout en bout, d’autant qu’il incarne à lui seul près d’une quinzaine de personnages, femmes incluses. Et qu’il parvient à transmettre les doutes, les certitudes qui volent en éclat, une dernière histoire d’amour interdite ou la passion qu’il ressent pour la figure de Jeanne d’Arc. On a littéralement l’impression de les voir toutes et tous, graviter autour du poète à la destinée tragique. Le tout, dans une mise en scène sobre et efficace de Laetitia Gonzalbes, avec un travail ciselé sur le son et les lumières. De quoi être ébloui, même en clair obscur où le spectacle évolue souvent, avec lumières ocres ou bleutées. Et de donner envie de se plonger dans les poèmes transcendés de Charles Péguy…
Péguy le visionnaire, au Théâtre de la Contrescarpe, 5 rue Blainville 75005 Paris.
Les vendredis et samedis à 21h30 et le dimanche à 17h, jusqu’au 1er juillet.
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