L’ordonnance de Schindler
C’est une incroyable histoire vraie romancée et mise en scène qui se joue actuellement au Théâtre des Béliers Parisiens. Les Crapauds fous ou la fabuleuse escroquerie montée de toute pièce par deux médecins, pour sauver tout un village polonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Magnifique et nécessaire.
On appelle un crapaud fou, celui qui va à l’encontre du courant, qui ne va pas dans le même sens que ses congénères. Un terme qui peut concerner Eugène Lazwoski et Stanislaw Matulewicz, deux amis médecins qui se sont installés dans le petit village de Rozwadow en Pologne et qui, au détour de la Seconde Guerre mondiale, vont lutter contre le régime nazi à leur manière. En faisant croire que tous les habitants sont atteints du typhus et qu’il faut donc isoler tout le village en quarantaine. Un pari fou, risqué et qui paraît insensé, mais qui a bel et bien eu lieu. Car de cette histoire dont on pourrait tirer un film et qui rappelle furieusement des oeuvres tirées de faits réels d’actes de bravoure pendant les heures les plus sombres (comme La Liste de Schindler ou Train de vie), Mélody Mourey a tiré un spectacle aussi drôle qu’émouvant.
Si la mise en scène peut parfois faire penser aux dernières pièces d’Alexis Michalik (deux temporalités et continents différents, des bouts d’histoire qui s’imbriquent les uns aux autres pour former un seul et même récit), elle est d’une efficacité redoutable. Surtout quand les protagonistes des années 1990 assistent en direct (voire interagissent) avec ceux des années 1940, autres versions d’eux-mêmes pris dans les tourments de la guerre. On rit beaucoup, même si parfois on se vilipende de le faire. Mais la vie est ainsi faite : des pires horreurs naissent parfois des instants de joie et d’absurde incontrôlables. Certaines scènes sont d’ailleurs exclusivement tournées vers la comédie : une parodie de Hitler façon Jacques Villeret dans Papy fait de la Résistance ou les villageois qui se déguisent en malades du typhus pour faire fuir des nazis venus inspecter les lieux.
Mais ce sont surtout les moments d’émotion qui l’emportent. Les deux héros sont deux déracinés qui ont dû fuir Varsovie et qui doivent partir à nouveau, en laissant tout derrière eux. Certains de leurs choix nous interrogent : aurions-nous, comme ils l’ont fait, aidé des villageois juifs au péril de notre vie, quitte à mettre également en danger celle de ceux que l’on aime ? Ces choix, leurs choix, qui se répercutent bien des décennies plus tard, se racontent comme une légende. Grâce à Eugène Lazwoski, quelques 8 000 personnes ont pu être sauvées. La pièce ne mentionne qu’il avait agi dans un village, mais l’action des deux médecins s’est répercutée bien plus largement. Car Rozwadow était en fait une ville. Mais pour les besoins de la pièce, la réalité paraît bien plus crédible à une plus petite échelle.
On ne peut que saluer la troupe de comédiens qui s’évertue sans ménager son énergie, à porter cette histoire au devant de la scène, Charlie Fargialla en tête, dans le rôle d’Eugène. Sa sobriété, son émotion à fleur de peau et son plaisir communicatif à incarner un tel personnage, valent à eux seuls ce déplacement jusqu’en Pologne… Une joyeuse bande de crapauds fous qu’il serait dommage de placer sur le droit chemin…
Les Crapauds fous, Théâtre des Béliers Parisiens, 14 bis rue Sainte-Isaure 75018 Paris.
Du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 15h.
Tarifs ; de 10 à 32 euros.
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