
Mme Klein au Théâtre de la Ville, c’est le genre de pièce qu’on aimerait voir plus souvent : c’est simple, efficace, intelligent. Nous ne sommes pas prêts d’oublier un texte aussi bien mené.

Londres, 1934. Les premières persécutions contre les Juifs font rage en Europe de l’est. De nombreux notables se sont réfugiés en Albion. Mélanie Klein est l’une d’entre eux. Grande psychanalyste, elle voit dans toute phrase, tout geste, toute pensée, de quoi analyser son interlocutrice. Dans cette pièce de théâtre, nous sommes dans son salon décoré avec soin et dans lequel elle apprend le décès de son fils en Hongrie. S’ensuit une longue nuit de discussions entre elle, sa fille Melitta -qui rejette son autorité- et Paula, une amie de celle-ci venue rendre visite à Mme Klein. Paula, dont la présence subtile va perfidement jouer un tour à cette famille déchirée, est presque un être irréel qui apporte la discorde sur la relation déjà difficile de cette mère et sa fille.
Car ce qui est intéressant dans cette pièce, en plus du contexte historique, et des personnages féminins à la grande indépendance, c’est le rapport à la psychanalyse. Qu’on s’y connaisse ou pas, on est obligé d’interpréter, même quand les personnages n’en ont pas conscience, des fonctionnements de transfert, substitutions, lapsus et actes manqués. La mise en scène, malgré sa simplicité, joue le rôle d’inconscient collectif pour nous faire regarder où il faut, notamment grâce à des effets de lumière, qui en plus d’être esthétiquement satisfaisants, sont subtils et précis. Un exemple marquant du jeu qu’on vit à plusieurs “niveaux”, est le placard à trois compartiments de Mme Klein, divisé en trois étages : un où elle range le “Surmoi”, un pour le “Moi” et enfin un pour le “Ça”. Au cours de la pièce, je me suis laissée emporter par des réflexions sur ma relation avec ma propre mère, mes propres “enfants” qui pourtant n’existent pas encore…Les mots de Nicholas Wright n’agiraient-ils pas sur notre inconscient de spectateur ?
Pour aller plus loin, je suis persuadée que les créations de metteurs en scène sont toujours, conscientes ou non, des réflexions sur le faible mur qui existe entre la scène et les spectateurs, les acteurs et les personnages, l’auteur et sa propre vie. À quel personnage Brigitte Jaques-Wajeman -la metteur en scène- s’identifie t-elle le plus ? Car les trois rôles, la mère, la fille et l’imposteur, sont aussi des rôles que nous prenons dans la vie en fonction de chaque situation.

Mme Klein le répète de nombreuses fois durant la pièce : elles ne sont pas seules dans ce bureau. Elles sont avec toutes les personnes invoquées, évoquées, mais aussi avec les spectateurs de ce qui pourrait être une analyse de la pensée humaine. Mme Klein, c’est jusque samedi au Théâtre des Abbesses, et c’est chaudement recommandé.
MME KLEIN, au Théâtre de la Ville- Abbesses
TEXTE Nicholas Wright
TRADUCTION François Regnault (Editions du Seuil)
MISE EN SCÈNE Brigitte Jaques-Wajeman
AVEC Marie-Armelle Deguy, Sarah Le Picard, Clémentine Verdier
Jusqu’au samedi 2 mars