En cette période de confinement, mon ami Rodolphe Trouilleux, qui vient de rejoindre le blog vous fait part d’un journal imaginaire : « Journal d’un vieux confiné » Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, etc, les surprises sont souvent au rendez-vous et c’est un plaisir de les partager.
Huitième jour de confinerie
Hier, j’ai sorti pour les courses, ozvess en poche et carte d’identité itou. Maman m’a mouché avant de partir et bisé comme si j’allais sur un champ de bataille. Et je suis sorti dans la rue, en regardant à droite et à gauche pour voir si il y’avait pas des flics. J’ai l’ozvess mais je suis inquiet quand même, les poulets, si ils sont mal bigornés, y sont capables de me chercher des noises sur tout et n’importe quoi.Là, j’ai remonté la rue, salué au passage Paulot, le ras-du-plancher, qui me faisait coucou à sa fenêtre et la rombière qui m’envoyait des bisous.
J’ai aussi aperçu le Lucien, complètement à oualpé. Depuis que la famille est revenue du camp des tous nus, il paraît qu’ils ont brûlé leurs vêtements dans la cheminée du salon. Moi j’y crois pas à ces menteries. Même que si le Lulu il aime bien que ces choses-là ça pendouille à l’air, il est pas complètement louf. Plus loin, les volets de la maison du Riton étaient fermés. Peut-être bien que le malfaisant s’est barré ? Bon débarras !
Drôle d’ambiance tout de même. Dans le centre-ville les trois bistros claquemurés ça fait bizarre ; Y a que « le chat qui fume » qu’est ouvert, because la vente de cigarettes. Heureusement avec maman on fume pas, rien, même pas du achique, ça fait pas du bien aux gens ces chose-là alors que nous on vit sainement.Plus loin y avait la queue à la boulangerie, comme au temps de l’occupation, avec un maximum de gens tirant la gueule des mauvais jours.Faut dire que c’est bizarre cette impression de risquer sa vie pour acheter les machins de tous les jours.
A Céprix y’avait la queue aussi, jusqu’à la porte de l’église où il y avait le Marcel qui faisait la manche comme dab. Je l’ai salué avant de lui donner la pièce dans sa boîte à la con qu’il a mis à trois mètres de lui. C’est là qu’il m’a dit :- T’aurais pas une carte bleue à me filer des fois ?
Là je me suis carrément marré, mais lui il était pas parti à la plaisanterie :
– Les commerçant ils veulent pas du liquide, rien que du plastique, pour pas toucher à la monnaie. C’est vraiment la poisse !Pauvre Marcel ; Je lui ai demandé si il voulait que je lui achète quelque chose à bouffer et, timidement, il m’a indiqué deux trucs, genre biscuits et camenbert. Les restos du cœur du coin y sont fermés à cause que c’est des vieux qu’ont de l’âge qui servent les gens, c’est triste.La queue elle avançait mieux qu’à la fête foraine, alors j’ai avancé vite.
J’ai pris un Caddie et j’ai foncé au rayon cornichons. Heureusement y’en avait ! Et pis de la marque que voulait maman ! J’étais soulagé, parce qu’en cas de pénurie de corniflards j’avais l’assurance du tirage de gueule atome. C’est bizarre ce truc de la divine avec les machins verts. Elle est folle du concombre aussi, de là à faire des conclusions hâtives y’a pas loin…Je me marrais tout seul en pensant à ça quand j’ai vu que y avais plus de farine, pas d’œufs non plus. On se console comme on peut avec les gosses : tartes, crêpes et gâteaux, les vieux trucs ça marche encore. Bon, ça allait, y avait des anchois. Moi, ces machins-là j’en boufferais au petit déjeuner, enfin, chacun son truc.
J’ai pris deux ou trois choses sucrées, des machins pour Marcel et j’ai fait la queue à la caisse, distance de sécurité oblige. Devant moi y’avait le plombier Durand, le mec qu’à installé ma chaudière, alors on a causé un peu. Pour détendre l’ambiance, je lui ai raconté les histoires cochonnes du Kiki. Tout le monde se marrait sauf une vieille demoiselle, choquée, qu’elle disait. Faut dire que les câlineries, pour elle, ça doit être une vue de l’esprit et que le mec qui l’a draguée la dernière fois y doit être mort.
Bon, allez, je suis fatigué, pour la suite, on verra demain.
