En cette période de confinement, mon ami Rodolphe Trouilleux, qui vient de rejoindre le blog vous fait part d’un journal imaginaire : « Journal d’un vieux confiné » Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, etc, les surprises sont souvent au rendez-vous et c’est un plaisir de les partager.
Treizième jour de confinerie
Tiens… Treize… J’espère que ça porte pas malheur… J’ai un peu mal aux cheveux que j’ai plus depuis ce matin. Faut dire que hier soir, avec Maman, on roulait pas à l’eau minérale. Fallait faire couler les chips et le saucisson et pis la Divine elle était chagrin comme je l’ai jamais vue. J’ai préféré éviter les sujets sensibles comme la boîte blanche et les photos de l’autre Casanova à la manque, l’écrasé des Indes, ça risquait de se barrer en sucette.
J’ai jamais compris comment ça marchait ce genre de type. Moi, pour séduire les filles, j’avais pas le manuel et les accessoires. Ma première copine, j’ai presque payé pour la faire venir dans ma chambre. Faut dire que j’étais du genre pas très attirant, boutonneux comme pas un, avec une raie au milieu qui me donnait l’air d’un débile et pis je causais pas des masses parce que j’avais rien à dire. Sur les doigt d’une main que je peux compter les femmes de ma vie, et encore, y a pas tous les doigts.
Enfin tout ça c’est du passé, y a Maman qu’est entrée dans ma vie, du temps que j’étais vérificateur chez Dubois-Glandier, le fabricant de gloutes à ressorts. Elle faisait du secrétariat chez la patronne. Elle m’avait tout de suite plu avec son air godiche et ses dents en avant. Elle était pas belle pour les autres mais pour moi c’était une princesse. Tous les soirs on prenait le même bus pour revenir au boulot. Je la laissais dans le bus, elle descendait au terminus. On a causé tous les jours et on a fini par se comprendre. J’avais pas un gros salaire avec mon boulot de gloutier, mais c’était mes grands yeux rêveurs qu’elle aimait bien, et en plus, je la faisais rigoler avec des histoires de Toto.C’est loin tout ça.
Maintenant je suis déplumé comme un vieux poussin, Maman, elle a grossi des bourrelets, et pour compléter le tableau, y a l’Asticote, qu’est gentille comme un ange et moche comme une serpillière. Sur la canapé ça doit donner quelque chose de bien curieux, mais c’est nous, c’est notre histoire et c’est comme ça.
Et il faudrait pas que le virus de la Corona il vienne foutre le bordel là dedans, c’est notre famille à nous, un machin unique au monde. Heureusement que y a la confinerie et le gel des alcooliques, comme ça, ça devrait aller.Faut se méfier aussi parce que la confinerie ça commence à taper sur le système des gens du voisinage. Depuis hier, allez savoir pourquoi, y’a Paulot, le ras-du-plancher, qui sort habillé en gonzesse dans son jardin, maquillé, avec un sac à main, même qu’il prend des allures de jeune fille qui lui vont pas tellement à cause de son âge. Il fait la mémère sur le pas de sa porte plutôt que jeunette fraîchement poussée. Mais c’est bizarre tout de même.
Hier, j’avais pas fait attention et je lui ai dit bonsoir madame. Il faisait les cents pas dans la rue en robe à fleurs, manteau à rayures, chapeau de paille. J’ai eu droit à un grand sourire avant de rentrer chez moi. Je l’avais pas reconnu et même que c’est Maman qui m’a dit que c’était le Paulot et que c’était pas nouveau, qu’elle l’avait vu nippé en femme pas mal de fois déjà. Y paraît que c’est son truc et moi ça me dérange pas les déguisements. Même que Maman elle lui a déjà filé des vieilles robes à elles, des machins à pois qu’elle enfile plus ou qui la boudinent.
Ça m’a fait du bien d’écrire, j’ai moins mal à la tête. Faut aller faire pisser l’Asticote, qui commence à faire la vie. Je vais prendre l’air et faire un tour de quartier, c’est le printemps et y a plein de fleurs et des arbres tout bourgeonnant partout. Moi, j’aime bien mon quartier, alors faudra que je vous raconte un jour, mais l’Asticote elle peut pas attendre.Alors, on verra demain.
