Journal d’un vieux confiné…Jour 34

En cette période de confinement, mon ami Rodolphe Trouilleux, qui vient de rejoindre le blog vous fait part d’un journal imaginaire : « Journal d’un vieux confiné  »  Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, etc, les surprises sont souvent au rendez-vous et c’est un plaisir de les partager.

Trente quatrième jour de confinerie


Comme j’ai vidé le débarras, on est encombré avec des tas de cartons et de vieux trucs qui finiront à la déchèterie. Là-dedans j’ai retrouvé des archives à moi, du temps que j’étais gloutier chez Dubois-Glandier. Sacrés souvenirs.

J’avais rien foutu à l’école, alors on avait jugé bon de m’envoyer faire un apprentissage. Comme je travaillais pas on voulait que je devienne ouvrier, tu parles d’une logique. On m’a retiré de ma classe, un jour, et une dame m’a fait enfiler des perles et mettre des ronds dans des carrés pour voir si j’étais intelligent.

Comme on a vu que j’avais que la moitié de la cervelle y’a des gens qu’avaient de l’instruction qu’ont décidé pour moi : j’enfilais bien, alors gloutier c’était un beau métier pour un gars comme moi où s’qui faut des bras mais pas trop de réflexion. C’est comme ça que je me suis retrouvé à dix-sept ans apprentis gloutier à Asnières.

Le premier jour j’ai été accueilli par le dirlo, un nommé Boulon, qu’avait des poches sous les yeux genre valoches grand luxe et un air fatigué style Droupi. Y m’a dit que Dubois-Glandier c’était une grande famille – tu parles! – et pis y m’a présenté aux ouvriers. On a été aux ateliers, qui puaient et qu’étaient dégueulasses. Là-dedans y’avait des vieux mecs, l’air las, qui tiraient sur leurs gloutes comme des malheureux. J’avais l’impression d’entrer en tôle et d’en prendre pour perpète. J’ai serré les mains des gars qui me regardaient tous avec un air abattu. Sacrée bonne entrée en matière !

Comme je débutais, j’ai eu droit à la corvée des vis qui fallait ramasser par terre, des nettoyages et de tout le toutim, histoire de bien me former qu’ils disaient. Et c’est comme ça que de fil en aiguille et d’aiguille en tricot j’ai fini P3 de la glouterie, avec de l’ancienneté et un beau cadeau pour ma retraite : un porte manteau en plastique avec des boules dorées. Ah, y se sont pas foutus de moi ! J’ai une pension pas terrible et avec celle de Maman ça fait la soudure mais faudrait pas que ça dure encore trop la confinerie, on sait pas combien y nous reste à vivre alors le quotidien dans le bocal ça pèse un peu.

Maintenant dans notre baraque de banlieue on est trois gens avec les deux bestioles en plus, y manque des dents à la divine, moi je suis encore rouge sous les bras, j’ai les cheveux en vrac et le palpitant à ressort. Et heureusement qu’on est de bonne humeur et qu’on a de belles occupations sinon ça serait la déroute complète.

A propos je me suis remis à la maquette de la Colombe en plastique, elle est presque finie sauf la peinture, mais c’est un modèle spécial, genre prototype, avec des roulettes et un toit ouvrant, enfin tout ça c’est de la faute à Maman. Elle a fini par m’avouer qu’elle avait fait tomber les deux boîtes de maquette à la cave et qu’elle a tout mélangé en jetant une des boîtes sans rien me dire. Tout le bazar ensemble c’était pas très catholique : entre le bateau des temps héroïques et une deux chevaux on voit pas tellement le rapport. Mais moi j’ai rien vu et j’ai tout collé ensemble mais je comprends pourquoi maintenant que ça me paraissait bizarre le truc. Je pouvais pas savoir que le Christophe de la Colombe il avait pas découvert l’Amérique avec un bateau à roulettes et des portes sur les côtés. C’est vrai que les phares ça fait drôle et pas trop dans le genre de l’époque mais maintenant c’est fait. C’est pas grave, quand je l’aurais peint, le bateau deux chevaux, ça nous fera une belle œuvre d’art sur le buffet de la salle à manger. Entre la bouteille habillée en laine façon caniche et baromètre en plastique rose « souvenir d’Arromanches » ça fera stylé, un peu comme chez les gens riches.

Une bonne nouvelle enfin : maman elle remange des cornichons, vu qu’elle s’est faite à son dentier sans canines et que j’y ai fait livrer tout un carton de bocaux grand luxe de chez Olida : que de la qualité supérieure, des brossés à la main et du vinaigre vieilli en fût de chaîne. Du coup elle est plus détendue, même si avec la vieille c’est pas des vacances tous les jours. Mais avec la Tatiana y’a du progrès dans l’entretien de la belledoche.Moi je vais finir par m’habituer à ce qu’elle m’appelle Chirac. Tant qu’elle me confond pas avec Cochonnet ça peut aller.

Alors pour le reste on verra demain.

Copyright R.Trouilleux

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Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, les surprises sont souvent au rendez-vous, et c’est un plaisir de les partager.

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