En cette période de confinement, mon ami Rodolphe Trouilleux, qui vient de rejoindre le blog vous fait part d’un journal imaginaire : « Journal d’un vieux confiné » Historien, auteur de nouvelles, conférencier, rédacteur au Journal Le Chat Noir, on me présente souvent comme le spécialiste de Paris secret et insolite, rappelant en cela mon livre éponyme. C’est un peu vrai mais Paris dans son ensemble me passionne depuis toujours. La ville d’hier et d’aujourd’hui, ses multiples histoires et faits divers occupent mon quotidien. Incorrigible piéton, je parcours les rues parisiennes en tous sens, et mes découvertes sont nombreuses. Qu’elles soient théâtrales, littéraires, gastronomiques, etc, les surprises sont souvent au rendez-vous et c’est un plaisir de les partager.
Quarante quatrième jour de confinerie
Léon avait rencontré Marcel dans un bistrot où il avait ses habitudes, dans le centre. Là y buvait des sodas en jouant au flipper avec quelques potes. Marcel c’était Marcelle pour tout le monde. Dans la journée y distribuait des journaux dans un costume de mec et le soir on le voyait débarquer en fille, sapée avec des robes chics et maquillée comme il fallait. Les clients habitués y connaissaient le truc mais personne la ramenait. Tout le monde aimait ce / cette pote qui mélangeait les genres mais qui était super réglo, avec le cœur sur la main. Le dernier – un mec de dehors – qui avait traité Marcelle de grosse pédale était reparti du bistrot sur le cul avec un coquart en prime.
Marcelle avait rien d’une super gonzesse qu’on voit dans les films d’amour à l’eau de rose mais c’était la pote de beaucoup, qui réglait les problèmes d’un tas de gens, mecs ou fille. Comme il avait oublié d’être con le jour de la distribution il avait repéré Léon et l’avait pris son son aile. Lui qu’avait jamais sauté le pas de la transformation il avait conseillé le gamin, franchement, en lui évitant de faire les mêmes conneries que lui. Il l’a accompagné, tout le temps, dans l’aventure, même quand c’était dur, même quand Léon il avait envie de tout arrêter. Tout ça s’est pas fait en un jour.
Quand après toutes ces choses, Maman est elle entrée dans le bistrot habillée en gonzesse et maquillée, Marcelle était fière. Maman avait trouvé une nouvelle mère, Marcelle avait gagné une fille.
Le plus incroyable c’est que Marcelle elle avait tout arrangé, y compris avec les parents. Avec le cochonnet il a pris une cuite mémorable, à la mère de Maman elle a offert des fleurs et des chocolats. Faut dire que pour les vieux de Maman la chose était pas facile : c’était un peu comme si Léon était mort. Ils avaient perdu un garçon et ils avaient gagné une fille, mais, quoiqu’on fasse, c’était toujours leur enfant. Ils ont fini par s’habituer. Ils ont reçu Marcelle à la maison comme un membre de la famille, quelqu’un de pratique, capable de parler foot avec le père et chiffon avec la mère.
Du coup le mélange des genres dans la famille de Maman c’était devenu même plus un sujet. Des fois Marcel venait manger le dimanche midi et c’était Marcelle qui repartait le soir. Maman quitta la maison pour emménager dans un autre quartier d’une autre ville, où on la connaissait pas, où on ne reconnaîtrait pas Léon habillé dans une robe. Il était devenue Elle, enfin comme elle voulait, comme elle pensait être, même si c’était pas toujours facile dans sa tête. Un jour elle a vu une annonce chez Dublois-Glandier et elle s’est pointée pour le poste. On l’a prise tout de suite. Enfin reconnue pour elle-même elle m’a rencontré à ce moment là. Ce jour-là j’ai décroché la timbale.
J’avais déjà la tête bien secouée avec les machins de la confinerie, alors l’histoire Léon-Maman ça a pas arrangé le problème. Elle avait peur de ma réaction mais j’y ai dit que ça changeait rien, que je me sentais pareil et que je la voyait pareille aussi. On a tous notre cuisine secrète avec des placards encombrés que je lui ai dit, alors elle, elle a fait le ménage en grand et c’est plutôt pas mal. J’y ai demandé ce qu’était devenue la Marcelle. Y a longtemps qu’elle bouffe des pissenlits par la racine. Demain on ira porter du muguet où ce qu’elle est, au square des allongés. Et pis on verra la suite…
