Ah, la guerre comme à Daguerre ! Après le moliérisé Adieu Monsieur Haffmann encore dans toutes les mémoires et toujours à l’affiche, Jean-Philippe Daguerre revient avec Le Petit Coiffeur, nouvelle pièce située pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y est question de collaboration, de résistance, de famille et de transmission, mais aussi et surtout, d’art et d’amour. La pièce-événement de cette rentrée théâtrale.
Automne 1944. La France est libérée, petit à petit, compte ses morts, mais aussi ses traitres. Celles et ceux qui ont collaboré, tout comme celles et ceux que l’on accuse à tort et à travers, qu’on lynche et qu’on tond. Une véritable débâcle encore trop souvent tue, point noir d’une Libération qui avait pourtant entraîné avec elle une liesse nationale. A Chartres, un salon de coiffure pas comme les autres vit également les événements. On y trouve Marie Giraud, veuve d’un mari dénoncé par un(e) voisin(e) pour ses actes de résistance, alors que c’était elle, la véritable héroïne, meneuse d’opérations et bientôt décorée. A ses côtés, ses deux fils : Jean, différent et fragile et Pierre, peintre talentueux qui manie autant les ciseaux que les pinceaux. Son truc ? Peindre des femmes habillées qu’il dévêt dans ses toiles et dont il floute le visage. Il fait la connaissance de Lise Berthier, institutrice et veuve, qui a tapé dans l’oeil de Marie désirant marier son fils. Pierre n’est d’ailleurs pas insensible à ses charmes. Mais Lise cache un terrible secret. De ceux qui peuvent changer une destinée, pour le pire, sans le meilleur.
Tandis que l’on parle de couvre-feu généralisé, difficile de ne pas voir une analogie entre notre situation actuelle et celle que vivent les protagonistes de ce Petit Coiffeur, même si Jean-Philippe Daguerre n’avait pu le prévoir au moment de l’écriture de sa pièce. Les heures naviguent entre ombre et lumière, le temps est à la délation de ses voisins (à notre époque, ceux qui ne respectent pas les horaires et les consignes de l’Etat) et les traîtres d’hier deviennent les héros d’aujourd’hui : il suffit de changer sa veste de l’autre côté ou de modifier son fusil d’épaule. L’analogie de la guerre par le Président de la République renvoie également à cette époque où l’on doit raser les murs. Entre 1940 et 1944, devant la menace nazie et collaborationniste, désormais, contre un virus invisible. Dans les deux cas, la possibilité de mourir plus jeune que prévu demeure élevée. Derrière la légèreté apparente de la pièce et de notre situation, le drame peut surgir à tout moment et emporter les cinq personnages dans le tumulte. Ils ont survécu à la guerre, survivront-ils à la Libération ?
On danse dans le salon de coiffure, on y fait l’amour aussi. On rêve à des lendemains meilleurs, à l’envie de transformer une partie de l’établissement en atelier d’artiste, pour que Pierre n’ait plus de ciseaux à brandir, seulement ses pinceaux. On entrevoit un mariage entre lui et Lise. Marie rêve également d’amour, dans les bras du maquisard Léon, tandis que Jean, lui, reste dans son innocence qui fait plaisir à voir et à entendre. Comme dans Adieu Monsieur Haffmann, Jean-Philippe Daguerre convoque une histoire d’amour (et même deux, ici), un protagoniste obligé de se cacher (Lise, après la découverte de son secret) et l’ennemi rôde et s’invite à domicile. Le bijoutier de la pièce moliérisée se fait coiffeur, éperdu dans un monde trop grand pour lui et surtout, trop tumultueux, lui qui ne désire que le calme.

On sourit souvent lors des scènes d’insouciance où l’on nous balade au début, avec cette famille attachante, pour glisser de plus en plus dans un tourbillon de drames et d’émotions. Les comédiens sont évidemment au diapason dans cette partition très bien huilée, notamment Félix Beaupérin (que nous avions déjà applaudi avec bonheur dans La Ménagerie de verre) et Brigitte Faure, tous deux d’une justesse au fil du rasoir, dans le chaos qui environne le salon de coiffure. La toute dernière scène vous glacera le sang. Cela aurait pu être nos grands-parents. Cela aurait pu être des voisins. N’importe qui. Cela donne à réfléchir. Qu’aurions-nous fait, à leur place ? Une des pièces de la rentrée à ne pas manquer, assurément.

Au Théâtre Rive Gauche, 6 rue de la Gaité 75014 Paris.
Jusqu’au 30 novembre, du jeudi au samedi à 18h30, les samedis à 16h et les dimanches à 15h.
A partir du 1er décembre, du mardi au samedi à 21h et les dimanches à 15h.
Un commentaire sur « “Le Petit Coiffeur” au théâtre Rive-gauche »