On s’enjaille en 2021, grâce à la sortie de Tako Tsubo, le nouvel album du groupe L’Impératrice qui vient de sortir. Tandis qu’on se déhanche lascivement sur leur nouveau tube Hématome, Flore, Charles et Hagni, trois membres du groupe, ont bien voulu nous confier leurs coups de cœur.
Un album de musique ?
Charles : An Evening with Silk Sonic, de Silk Sonic. La grande particularité de cet album, c’est qu’il n’est pas encore paru ! Mais la récente sortie de Leave the door open, le single de Bruno Mars et Anderson Paak, annonçait à la fois la formation d’un duo iconique et l’album le plus excitant de 2021. Pour moi c’est la quintessence du cool californien (si tant est qu’on veuille bien rendre à Bruno Mars ses lettres de noblesse), la célébration de la soul, du style et du groove qui remet à jour ce que beaucoup de musiciens ont oublié aujourd’hui : rendre les gens heureux.
Une chanson ?
Flore : Tant d’amour perdu, de Michel Berger. Enième message (à peine) caché de Michel Berger à Véronique Sanson, presque 10 ans après leur séparation. On y retrouve tout ce qui nous fait vibrer chez Berger et qui nous a tant inspiré pour notre deuxième album : les influences californiennes, le groove, cette mélodie si française et ce texte déchirant, désespéré. « Tant d’amour perdu, tant de caresses retenues » nous apparaît aussi comme le parfait résumé de cette année de confinement, de frustrations et de distance. On aime tellement ce morceau qu’il nous a accompagné pendant plusieurs années et qu’on l’a repris, à notre façon, pour clore notre album Tako Tsubo.
Un clip ?
Flore : Hématome, de L’Impératrice, réalisé par Jocelyn Charles et Roxane Lumeret. Pardon pour l’auto-promo, mais on est si fiers de ce clip ! Il a été réalisé par deux jeunes artistes, une illustratrice et un animateur des studios Remembers, qui n’avaient (c’est fou) jamais travaillé ensemble avant cela et qui ont été réunis par Ugo Bienvenu (qui a dessiné la pochette de notre album) pour ce clip en animation bouleversant. Jocelyn Charles et Roxane Lumeret ont proposé une deuxième lecture de notre morceau Hématome autour de cette histoire poétique aux accents Miyazakiesques d’une gorille infirmière qui veut désespérément devenir humaine…
Un film ?
Hagni : Le Chant du Loup. Partant d’un sujet austère et assez inconnu du grand public, les intrigues militaires en eaux profondes, le film réussit le tour de force de nous happer complètement dans son récit. Personnellement, j’ai rarement vu un film français de suspense arriver à concurrencer les américains à ce point. La tension dégagée par la réalisation est extrêmement puissante. C’est une œuvre grand public qui, émotionnellement, nous embarque à bord d’un grand huit où la douleur, les doutes, et les sacrifices de chaque personnage (servi par un très bon casting, mention spéciale à Reda Kateb, toujours aussi parfait dans un rôle), nous touchent et nous marquent. Un film qui divertit, qui pose des questions intéressantes et qui ne laisse pas indemne.
Une série ?
Charles : The Morning Show. C’est probablement une des meilleures séries que j’ai vues dernièrement. Déjà parce qu’elle rassemble presque tous les ingrédients qui selon moi font d’une série, un objet pop et fédérateur : des dialogues rapides et incisifs à la Aaron Sorkin, un cast parfait porté par Jennifer Aniston, Reese Witherspoon et Steve Carell, un débat de fond sur le mouvement #MeToo en plein scandale Weinstein et, pour ne rien gâcher, beaucoup de cynisme et de second degré « à l’américaine ». C’est une série politique et sociale dont le socle repose sur le portrait sans concession du talk show matinal le plus populaire aux US. Entre jeux et abus de pouvoir, elle nous montre comment deux femmes peinent à tirer leur épingle d’un jeu régi par l’entre soi masculin.
Un documentaire ?
Flore : Sisters with transistors, de Lisa Rovner. Un documentaire passionnant sur les pionnières de la musique électronique, ces compositrices et techniciennes avant-gardistes injustement méconnues du grand public. On plonge pendant plus d’une heure dans les studios et les inventions de Daphné Oram, Bébé Barron, Delia Derbyshire et beaucoup d’autres de ces femmes extraordinaires, le tout ponctué d’extraits musicaux magnifiques et raconté par l’unique Laurie Anderson.
Un livre ?
Flore : Maquillée, de Daphné B. Voilà longtemps que je n’avais pas pris autant de notes en lisant un livre… La poétesse québécoise Daphné B. livre à travers cet essai sur le maquillage et l’industrie de l’influence, une réflexion édifiante, féministe et sociale sur notre époque. C’est à la fois beau, drôle, sensible, et en même temps intelligemment documenté, et d’une intelligence rare.
Une bande dessinée ?
Charles : Préférence Système, d’Ugo Bienvenu. Après 1984, Ravage ou Chroniques martiennes, Préférence Système est la figure de proue du nouveau roman (illustré) d’anticipation. Ugo Bienvenu, qui a par ailleurs créé la pochette de notre album Take Tsubo, propose une réflexion sur l’enjeu de la mémoire artificielle et l’avenir de la mémoire de l’humanité. A l’heure ou la société n’est plus en capacité de stocker les oeuvres qui ont façonné sa culture, une guerre éclate entre un archiviste et le tribunal des juges supposés discerner ce qui est utile à la survie de l’espèce. Une BD géniale qui questionne aussi chacun sur sa contribution à la société.
Une exposition ?
Flore : Esprit es-tu là ? au Musée Maillol. Une exposition loin des codes classiques et assez fascinante, puisqu’elle met en scène les productions artistiques de médiums du XIXe et XXe siècles. Ces oeuvres du spiritisme, réalisées de façon « involontaire » par des artistes inspirés et guidés par des forces surnaturelles, ont été classées comme de l’art « brut » et sont particulièrement impressionnantes par leurs dimensions gigantesques et leur souci du détail et de la symétrie. On en ressort tout chose…
Un photographe ?
Charles : Sophie Calle. Difficile de parler de Sophie Calle en quelques mots, tant son oeuvre est importante et plurielle, mais j’aime l’idée qu’elle soit une artiste en 12 dimensions, pas seulement photographe, et que toute son oeuvre repose sur la création d’une relation à l’autre contrôlée par l’artiste. Son plus grand fait d’arme, c’est la provocation, comme avec cette exposition dont aucune photo n’était d’elle car elle avait demandé à un détective privé de la photographier à son insu. On dit qu’elle aurait même monté un groupe de musique avec Stephan Eicher…
Un spectacle ?
Flore : Ibsen Huis, de Simon Stone. Une grande maison de quatre pièces au milieu de la scène, toute de verre et de bois, comme un huis clos mais au voyeurisme évident, qui tourne parfois sur elle-même pendant le spectacle, se déconstruit au fur et à mesure et se transforme. C’est la scénographie de l’époustouflant spectacle Ibsen Huis, synthèse de plusieurs pièces du célèbre dramaturge Ibsen transposée à notre époque, par l’australien Simon Stone qui est décidément mon metteur en scène préféré de tous les temps.
Un plat préféré ?
Hagni : Le takoyaki. Petit lien avec l’album, puisqu’on en revient au poulpe ! Le takoyaki est un plat qui vient du japon et plus précisément d’Osaka. Ce sont des boulettes de pâte, comme de la pâte à crêpe, contenant des morceaux de poulpe à la base, qu’on fait cuire dans une presse à takoyaki (une sorte de gaufrier avec plein de trous). Spécialité très répandue au japon, on peut soit s’amuser à faire le tour des petites échoppes de rues pour en goûter une variété extraordinaire, soit le must selon moi, organiser une takoyaki party à la maison. Comme pour n’importe quel plat à partager, le bonheur d’être assis autour d’une table, de partager et participer à l’élaboration du plat à déguster est un bonheur sans équivalent. Et si on se sent d’humeur transgressive, on peut se permettre de transformer la recette d’origine, comme faire une version sucrée, sans poulpe, mais avec de la pâte à tartiner chocolat noisette …
Une activité sportive ?
Hagni : Le foot. La meilleure activité sportive pour moi, à la fois pour les sensations qu’elle procure en la pratiquant, mais aussi les émotions qu’elle véhicule en la regardant. Sport collectif par essence, ce sport quand on le joue vraiment à 11 contre 11 est extrêmement enrichissant. Tout le monde a envie d’être buteur, mais quand on découvre le plaisir de défendre, le plaisir de faire la bonne passe, le plaisir de s’envoler sur un tir jugé inarrêtable, on comprend à quel point le foot est le reflet d’une société collective. On peut s’amuser tout seul dans son coin en faisant des jongles, mais le pur moment de bonheur reste le moment où on se sent connecté et concerné par ses partenaires. Notre monde aura beau tendance à préférer et idolâtrer des individualités, rien n’égalera la beauté de personnes qui gagnent, perdent, ensemble.
Une citation ?
Charles : « Notre métier est fondé sur les mots – pas seulement leur sens, mais aussi leur musique. Et les liens entre le son et le sens recèlent bien des mystères. Quand un texte qu’on a écrit est interprété musicalement, on voit devenir réelles des sonorités et des pensées dont on n’était qu’à moitié conscient. Le langage du musicien les met soudain en évidence » dans Le temps mord, de Doris Lessing.
Une maxime dans la vie :
Flore : « There is a crack in everything, That’s how the light gets in » de Léonard Cohen.
Votre actualité :
Charles : On vient de sortir un album avec la frustration de ne pas pouvoir le défendre sur scène, du coup, l’idée est de compenser en créant des rendez-vous via les réseaux avec notre public. On a mis en place un live Instagram tous les mercredis soirs pendant lequel on se penche en profondeur sur un morceau, en faisant intervenir ceux qui ont participé à sa réalisation (clip, paroles, instruments additionnels etc…), en jouant le morceau plusieurs fois aussi. On va en profiter pour monter le live de l’album et pourquoi pas se mettre à composer de nouveaux morceaux !
Merci L’Impératrice !
