Actuellement au Lucernaire, Les Voyageurs du crime est un réjouissant whodunit dont les principaux protagonistes ne sont autres que des écrivains britanniques reconnus (dont Arthur Conan Doyle), enquêtant sur un meurtre et une disparition à bord d’un wagon de l’Express d’Orient. Saurez-vous dénicher le/la ou les coupable(s) ?
Si Agatha Christie a popularisé le genre dans ses romans policiers, mais aussi sur scène avec sa pièce La Souricière (toujours à l’affiche à Londres et dont la version française a également remporté un joli succès), c’est surtout au cinéma, lors de pastiches, d’adaptations ou de créations inspirées, que le whodunit s’est épanoui. On attend d’ailleurs prochainement un énième Mort sur le Nil de et avec Kenneth Brannagh. Si ce genre est idéal pour faire un excellent spectacle (pluralité des personnages, unité de temps et de lieu), rares sont les pièces pourtant à se frotter au genre. C’est donc un événement que ces Voyageurs du crime de Julien Lefebvre, réussissant adroitement à faire co-exister comédie et suspens, sans que l’un ne se fasse au détriment de l’autre.
Le postulat est d’ailleurs remarquable : nous voici à bord de l’Express d’Orient (le premier nom de l’Orient-Express), en compagnie de trois amis écrivains : Arthur Conan Doyle (père de Sherlock Holmes), le dramaturge Georges Bernard Shaw et le créateur de Dracula, Bram Stocker. Tout irait pour le mieux si la jeune Agatha Miller, affolée, ne s’inquiétait de la disparition mystérieuse de sa mère, introuvable et si l’un des employés de la compagnie n’avait été retrouvé assassiné… Dès lors, les autres voyageurs sont tous des suspects potentiels. À Conan Doyle de mener l’enquête, à la manière dont le ferait le personnage qui l’a rendu célèbre dans le monde entier.
Quel exercice difficile que celui de faire l’article d’une pièce dont chaque mot pourrait conduire les lecteurs à deviner le pot-aux-roses… Il nous faut donc axer sur le décor (merveilleux de détails, avec notamment un écran faisant défiler un paysage plausible), les costumes (mais sans citer certains accessoires forcément trompeurs), la mise en scène redoutablement efficace de Jean-Laurent Silvi, la prestation des comédiens (dont les personnages ont des caractères forcément bien trempés, de la dame de compagnie acariâtre à l’actrice prétentieuse, en passant par un joueur d’échecs russe roublard ou un chef de poste zélé). Mais derrière ce jeu du chat et de la souris, se cache surtout un contexte fort bien documenté. Historique tout d’abord avec les soulèvements de population en Turquie. Littéraire, également, puisque Conan Doyle, Shaw et Stocker étaient bel et bien amis et que l’auteur de Sherlock Holmes, était lui-même versé dans les enquêtes, surtout ésotériques, suite à la disparition de sa première épouse. Ainsi que d’autres éléments (et personnages) dont il serait indécent de parler. C’est donc en ne dévoilant rien (ou presque !) que Les Voyageurs du crime sont une invitation à un polar dont on aimerait prendre le train en marche pour les rejoindre. Élémentaire, non ?
Jusqu’au 9 janvier 2022, du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 18h. Au théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris.
