Actuellement au Lucernaire, se joue une petite pépite en un acte datant de 1857 et signée Eugène Labiche, L’Affaire de la rue de Lourcine. Une comédie délicieusement troussée par la Troupe des Modits, jeune et inventive, qui n’hésite pas à pousser la chansonnette entre deux scènes. Rafraîchissant de bout en bout.
Un jeune rentier, Lenglumé, se réveille avec une sacrée gueule de bois, en compagnie d’un autre homme, Mistingue, tout aussi enfariné. Tous deux viennent de la même école mais ne se souviennent absolument plus comment ils en sont arrivés à se réveiller dans le même lit dans un état pareil, les mains recouvertes de charbon. Au moment du petit déjeuner, alors qu’ils croient lire les nouvelles du jour (il s’agit en fait d’un canard vieux d’une année), ils découvrent un terrible fait divers : une charbonnière aurait été assassinée par deux hommes dans la rue de Lourcine. Et voilà nos deux compères se croyant coupables de meurtre et tentant d’en effacer toutes traces pourtant factices et d’empêcher Mme Lenglumé d’avoir quelque suspicion quant à leur culpabilité…
Si l’on connaît bien le répertoire de Feydeau pour être perpétuellement joué sur toutes les scènes de France, petites et grandes, au point de devenir un auteur classique, on est un peu moins au fait de celui, tout aussi riche, d’Eugène Labiche. L’homme a pourtant été prolifique en co-écrivant 176 pièces, même si peu d’entre elles n’ont véritablement accédé à la notoriété. Aussi, c’est avec une vive curiosité que l’on découvre cette Affaire de la rue de Lourcine, vaudeville le plus connu de son auteur, peuplé de quiproquos cocasses et servi par cinq comédiens au diapason (une grande distribution finalement, tant Labiche affectionnait les pièces à deux ou trois personnages maximum).
Ce qui en fait la saveur ce sont, outre la langue riche de sous-entendus de Labiche, les anachronismes que l’on peut lire en sous-texte, plus actuels, ainsi que les chansons qui permettent de passer d’une scène à l’autre avec légèreté. On y entend même du Renaud, c’est dire si le texte se prête à bien des réinterprétations et tolère qu’on puisse y ajouter des nouveautés sans dénaturer l’ensemble. On se régale donc des mines contrites des deux gentilhommes pochetronnés lorsqu’ils pensent être de terribles assassins, alors que la vérité est bien plus prosaïque. Une sorte de Very Bad Trip avant l’heure avec un Mistingue et un Lenglumé en fieffés fêtards remontant le cours de leur nuit alcoolisée pour récolter ici ou là des indices pouvant leur rafraîchir la mémoire. Mais qu’on se rassure, tout est bien qui finit bien. Surtout pour les spectateurs, ravis d’avoir entendu à nouveau du Labiche, servi dans un aussi bel écrin et avec une telle générosité.
Au Théâtre du Lucernaire (53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris), du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 17h. Jusqu’au 23 janvier 2022 (relâche le 1er janvier).
