La comédie musicale qui fait Führer !
Adaptation d’un film et d’une comédie musicale signés Mel Brooks, Les Producteurs distillent un parfum de folie douce au théâtre de Paris, sous la direction du surdoué Alexis Michalik. Mais s’agit-il d’une comédie hilarante ou d’un spectacle au parfum suranné ? Entre les deux, notre coeur balance…
À l’origine, un film au pitch si improbable qu’il en a remporté, à juste titre, l’Oscar du meilleur scénario en 1969. Pour gruger le fisc, un producteur de Broadway sur le retour et un comptable qui se rêve en haut de l’affiche, montent la pire comédie musicale de tous les temps pour empocher les frais de production. Un spectacle qui vante les mérites d’Adolf Hitler, servi par le pire des metteurs en scène et des acteurs pitoyables… Le film devient lui-même une comédie musicale à succès au début des années 2000, glanant 12 Tony Awards et interprété par Nathan Lane et Matthew Broderick. Mais depuis, hormis un remake au cinéma peu inspiré, Les Producteurs (ou The Producers en anglais) avaient peu ou prou disparus de l’imaginaire collectif (du moins, dans nos contrées), demeurant un vague souvenir. Jusqu’à ce qu’Alexis Michalik, le golden boy du théâtre français, décide de les ressusciter sur la scène du Théâtre de Paris.
Quand on se souvient de ses toutes premières mises en scène, comme R & J d’après Roméo et Juliette, avec seulement trois comédiens (dont lui), deux portants chargés de costumes et des changements à vue, on admire tout le chemin parcouru. Surtout sur cette scène immense où malgré tout, Michalik a su conserver ce qui fait sa particularité : un plateau presque nu sur lequel se greffent des éléments de décors, mais tout au fond, toujours des portants chargés de costumes, bien plus nombreux certes. La formule reste la même, ce qui est rassurant quelque part. D’autant que l’on retrouve certains de ses fidèles complices de spectacle en spectacle, tel Régis Vallée, ici exceptionnel en ancien nazi nostalgique et auteur d’une comédie musicale à la gloire de son cher Führer disparu.
Alexis Michalik, auteur de toutes ses pièces à succès, du Porteur d’histoire à Edmond, n’est ici que l’adaptateur des Producers et suit à la ligne près, hormis quelques références typiquement prévues pour l’audience française, le texte initial de Mel Brooks, ainsi que sa mise en scène. Un exercice différent donc, que celui de se placer littéralement dans les chaussures d’un autre démiurge. Surtout aussi connu et aussi… dépassé. Car si Mel Brooks a su faire rire à gorge déployée le public international avec ses comédies et parodies (Frankenstein Junior, La Folle Histoire de l’espace…) durant les années 1970 et 1980, son aura a considérablement faibli et il reste peu de choses de ses œuvres. Alors pourquoi faire revivre ainsi une comédie musicale peu connue en France, plus de 50 ans après sa création ? Pour rivaliser avec celles du Châtelet, de Mogador ou du Marigny ? Pour se défier soi-même ? Pour redorer un spectacle à l’humour devenu douteux avec le temps et le rendre intemporel ? Ou simplement divertir le public français au sortir d’une épidémie plombante ?
Peut-être un peu de tout ça et c’est sans doute pour cette dernière raison que l’on rit de scènes qui ordinairement, ne nous arracheraient presque aucun rictus. Parce que l’on sent, à chaque scène, une vibrante envie de faire rire, de nous extraire de notre vie quotidienne, de nous offrir des instants de rêve et de folie. Le spectacle est généreux, virevoltant, dynamique et par moments, franchement drôle, grâce à l’abattage de ses chanteurs/comédiens/danseurs qui, s’ils sont encore un peu loin du niveau du Châtelet et consorts (et surtout de celui de Broadway ou du West End), ont au moins le mérite de se donner à fond et bien plus encore, pour que tout le monde passe une excellente soirée.
Malgré tout, la question du « pourquoi refaire ce spectacle ? » taraude toujours au sortir du théâtre. Voilà belle lurette que l’on peut plaisanter sur Hitler sans plus choquer grand-monde. Et Les Producteurs, hormis le fait de le voir transformé en pantomime chantante, efféminée et grimaçante, n’a plus le parfum de soufre que lors de sa création, une vingtaine d’années après la Seconde Guerre mondiale. Surtout, après tous les combats gagnés ces dernières années par la communauté homosexuelle et les femmes avec le mouvement #metoo, quel dommage de retourner en arrière pour des scènes humoristiques qui sentent le formol et frisent le mauvais goût : la Cage aux folles est de retour avec des caricatures de gays se dandinant façon Village People, criant avec des petits gloussements d’orfraie. Les femmes ne servent que de faire-valoir sexy sur lesquelles on peut se permettre une petite fessée l’air de rien. Nous ne sommes plus dans la provocation du temps de Mel Brooks, mais dans une époque soudainement rétrograde. Certes, il faut rire de tout, mais cet humour si subversif dans les années 1960, ne l’est quasiment plus aujourd’hui et dérange plus qu’autre chose.
Alexis Michalik l’auteur, aurait-il pu apporter une touche de modernité au livret troué de mites de Mel Brooks ? Ou ne pas le faire est-il un acte de militantisme à part entière ? Les Producteurs serait-il alors un spectacle véritablement provocateur non plus par son sujet, mais par la manière dont il s’en empare, bravant les indignations potentielles, faisant comme si les combats remportés n’avaient jamais existé ? Est-ce une comédie musicale brillante et méta ou un spectacle daté que ne renierait pas Benny Hill ? Aux spectateurs de se faire leur propre opinion. Les Producteurs divisent. Tant mieux, ils n’en ont que plus raison d’exister…
Au Théâtre de Paris (15 rue Blanche 75009 Paris), du mardi au samedi à 20h, également les samedis et dimanches à 16h.

J’aimerais tant la voir !