Scènes de vies !
Broadway s’invite sur la scène du théâtre Montparnasse par l’entremise du spectacle Times Square de Clément Koch et mis en scène par José Paul. Une comédie à la Pygmalion lorgnant du côté de l’émotion, servie par quatre personnages en manque de reconnaissance et une ode vibrante au théâtre et à la vie de bohème si souvent fantasmée.
La jeune et pétillante Sara Bump, serveuse de son état et apprentie comédienne désirant enfin percer dans le milieu, cherche un professeur d’art dramatique pour l’aider à interpréter Juliette dans Roméo et Juliette. Elle sollicite l’aide de Matt Donovan, comédien déchu et absent des plateaux depuis des années, mais dont la réputation continue pourtant de hanter le milieu du théâtre. Devenu alcoolique et blasé par un métier qu’il rejette désormais, il refuse tout d’abord de l’aider. Avant de se raviser. L’appel de l’argent facile pour continuer d’entretenir sa déchéance ou parce qu’il entrevoit en cette jeune femme une rédemption potentielle et un talent à polir ?
Toute l’action se situera dans le loft du comédien reconverti en prof, à deux pas de Times Square. Gravite autour de cet homme cynique et désabusé, Tyler, un ancien soldat qui bégaie, se cachant sous le costume d’une peluche géante pour se faire photographier par les badauds et touristes contre rétribution financière. Son autre visite ponctuelle étant son frère, inquiet de la situation dans laquelle Matt se trouve et toujours prompt à lui apporter Tupperwares garnis de nourriture et dollars sonnants et trébuchants en guise d’argent de poche. Inutile de préciser que ces quatre-là cachent chacun traumatismes et secrets. Car Sara ne semble pas être venue par hasard pour demander des cours à Matt…
Sous couvert d’une comédie savoureuse et initiatrice à la Pygmalion de George Bernard Shaw (sauf qu’ici, Matt est bien décidé de faire de Sara non pas une lady, mais une actrice accomplie), Times Square évite l’écueil de cette écrasante comparaison en se tournant vers l’humain avant tout. Clément Koch a particulièrement bien brossé ses personnages et chacun a plusieurs moments d’anthologie pour exprimer qui il est et pourquoi il se trouve là, malgré la souffrance que cela peut faire ressurgir. Car si on rit beaucoup, l’émotion n’est jamais bien loin. Derrière le rêve des paillettes, des lumières de la scène, se cachent des ombres parfois cruelles qui vous empêchent de briller tout à fait. Ici, chaque personnage souffre d’un manque cruel de reconnaissance : Matt, celui de ce métier qui petit à petit, l’a conduit à noyer ses tourments dans l’alcool. Sara, de ne pas encore avoir été repérée et de végéter dans son restaurant. Tyler, obligé de se dissimuler sous une peluche géante pour éviter d’être confronté à son bégaiement. Le frère de Matt, qui vit la carrière de ce dernier par procuration, souffre qu’il ait arrêté le théâtre, lui qui aurait tant voulu en faire…
Pour autant, la pièce ne tourne pas à un jeu de psychanalyse sur l’être et le paraître. Tout est fait pour que le rire l’emporte, que ce soit la faconde de Sara toujours prompte à exploser ou les piques ironiques de Matt dont les méthodes d’apprentissage, pour le moins uniques et originales, valent leur pesant. Si Guillaume de Tonquédec montre ici une facette plus bourrue de sa palette de jeu, on est surtout ravi de découvrir le talent de Camille Aguilar, parfaite en jeune femme ne demandant qu’à apprendre et ne s’en laisse pas compter pour autant. La fameuse scène du balcon du classique de Shakespeare qu’elle interprète ici le temps d’un moment suspendu, avec emphase et candeur, est l’un des plus beaux instants de grâce de cette nouvelle saison théâtrale. À leurs côtés, Axel Auriant épate (comme toujours) en Tyler dont le bégaiement doit être une gageure à interpréter et Marc Fayet joue avec subtilité ce frère à la fois ange gardien et homme envieux en secret. Times Square est une invitation à croire en ses rêves et à renoncer à ses démons intérieurs. Mais c’est surtout une comédie malicieuse sur une thématique universelle : le besoin d’être vu, reconnu et aimé.
Au théâtre Montparnasse (31 rue de la Gaîté 75014 Paris) du mardi au samedi à 20h30. Egalement le samedi à 17h et le dimanche à 15h30.

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