Sans contrefaçon, il est un garçon !
Tu seras un homme, mon fils… De ce poème de Rudyard Kipling, on en n’a gardé que le dernier vers qui résonne comme une sommation, une obligation à la virilité chez les jeunes garçons, comme si rien d’autre n’était possible. Une fatalité à laquelle se refuse Mickaël Delis au sein d’un seul en scène brillant, Le Premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité, actuellement au théâtre de la Reine Blanche.
Certes, il était plus que temps que l’on s’intéresse enfin aux injonctions faites aux femmes par les hommes. Du moins, par une partie d’entre eux, biberonnés au patriarcat ancestral et à la masculinité toxique. Une parole libérée depuis l’ère #metoo qui a encore bien du chemin à se frayer pour se faire vraiment entendre. Malgré tout, il est d’autres victimes de cet étendard de la virilité à tout prix, prête à tout pour garder ses prés carrés : les garçons eux-mêmes… Depuis la nuit des temps, c’est à eux qu’est échu le titre de « sexe fort », que l’on doit protection du foyer, chasse et pêche, devoir de nourrir ses proches et de perpétuer l’espèce à grands coups de muscles, de poils, de borborygmes et de violence. Les garçons sensibles (ou pire, efféminés), davantage dans l’émotion, l’intériorité, la fragilité, sont quant à eux relégués au rang de sous-hommes, voire en-dessous des femmes. Et cette norme, en phase d’évolution constante, surtout à notre époque où les genres sont plus fluctuants, continue d’être arrogée comme la majoritaire et la seule légitime.
De fait, depuis leur plus tendre enfance, nombre de jeunes garçons (pas tous, heureusement) subissent l’obligation d’être des hommes quand ils seront grands : d’avoir la voix grave, le cheveu court, la barbe hirsute, le muscle saillant, sans aucune manie ou larme au coin des yeux. Le reste n’est qu’accessoire. Et gare aux êtres qui dévient de cette voie bien établie. C’est notamment ce que dénonce avec humour et finesse, l’auteur et comédien Mickaël Delis dans ce spectacle ô combien personnel, Le Premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité. Il a eu le malheur (mais finalement, la chance) d’être né en dehors de cette norme : un frère jumeau qui répond à tout ce qu’on attend d’un garçon, quand lui préfère jouer à la poupée ou courir dans les jupes de sa mère ; une mère justement, qui élève ses deux fils seule, avec amour, autorité et bienveillance ; un père aux abonnés absents qui cache bien des secrets. Et autour d’eux, toute une galerie de personnages qui ont tous une idée préconçue de ce que le petit Mickaël deviendra : probablement un homosexuel, en tout cas, pas un homme comme les autres. Et ce dernier de se rebeller contre cette prédiction, de tomber amoureux de filles, de faire l’amour à l’une d’entre elles, de se masculiniser le plus possible et plus tard, de rabrouer son premier compagnon qu’il juge trop efféminé. Avant de s’apercevoir qu’il ne faisait que se nier lui-même.
Dans le même esprit que le fameux Les garçons et Guillaume à table de Guillaume Gallienne, Mickaël Delis incarne tous les personnages de son entourage proche avec humour, émotion et autodérision quand il s’agit de lui-même. Et s’il n’hésite pas à mettre son intimité en pâture au public, rien n’est pourtant gratuit : tout défend la cause de ces garçons qui subissent ou ont subi la tyrannie de la masculinité toxique, de la virilité à tout crin, alors que c’est la différence qui nourrit notre humanité. On a beau dire que l’on ne n’est/naît pas homme et qu’on le devient, le chemin est tout de même tortueux pour parvenir à celui (ou celle) que l’on aimerait être, sans subir la moindre pression extérieure. Ce spectacle sensible, follement drôle et essentiel est une des pierres à cet édifice, un exemple à brandir comme une ode à la liberté. À transmettre aux générations futures.
Cette année, deux films ont abordé ce sujet, à l’adolescence : Mes frères et moi (un jeune des cités marseillaises découvre l’opéra et subit le rejet de ses frères plus virils) ou Petite nature (sur la découverte de l’homosexualité par un jeune garçon qui souhaite s’émanciper au plus vite). D’autres jalons, d’autres exemples pour les hommes de demain. En attendant, c’est un homme d’aujourd’hui qui, sur un plateau vaste et nu, muni simplement d’un tabouret, d’un bout d’étoffe immaculé et d’un morceau de craie orange, parvient à faire la démonstration d’une virilité différente, la sienne, selon ses propres codes, sans plus écouter les attentes des autres à son égard. Avec son spectacle mis en scène par son acolyte Vladimir Perrin, Mickaël a créé un vrai délice à partager avec le plus grand nombre possible. C’est un homme, ô comme on dit. Libre, fantasque et virevoltant.
Le Premier sexe ou la grosse arnaque de la virilité, au théâtre de la Reine Blanche (2 bis passage Ruelle 75018 Paris), les mardis, jeudis et samedis à 19h jusqu’au 18 juin.
