Il jouait du piano penché
Artiste hors norme, pianiste de génie, Glenn Gould est le symbole-même de ceux que leur art dévore et isole. Atteint du syndrome d’Asperger, Glenn Gould n’a pas su s’adapter au monde environnant, privilégiant la fusion d’avec son instrument de musique. Une histoire adaptée avec humour et tendresse par Ivan Calberac dans Glenn, naissance d’un prodige, actuellement au Petit Montparnasse.
Les pièces d’Ivan Calberac se suivent et ne se ressemblent pas. Encore que, il y est souvent question d’amours contrariées et d’un personnage principal qui a du mal à apprivoiser le monde qui l’entoure. Dans Venise n’est pas en Italie, un adolescent mal dans sa peau fait tout pour assister au concert que l’élue de son coeur va donner à Venise. Et dans La Dégustation, le personnage de Bernard Campan se réfugie dans la solitude et l’alcool pour noyer un deuil impossible, jusqu’à l’arrivée de l’amour qui entre dans sa boutique sous l’apparence d’Isabelle Carré. A chaque fois, l’humour et l’émotion se superposent et ces spectacles profondément humanistes sur des inadaptés au bonheur, font mouche. Voici toute la saveur de l’écriture et de la mise en scène d’Ivan Calberac.
Il récidive en adaptant la vie tumultueuse et romanesque d’un des plus grands musiciens du XXe siècle, Glenn Gould. De lui, on retient principalement ses incroyables Variations Goldberg de Bach, enregistrées en 1955, puis en 1981 et faisant partie des albums de musique classique les mieux vendus au monde. On retient également son image d’éternel adolescent, penché sur son piano, défiant presque la gravité, chantonnant au fur et à mesure que ses mains se baladent sur le clavier, vivant sa musique avec intensité. Un homme étrange, au regard fuyant et qui, à 32 ans à peine, décida d’arrêter de donner des concerts, mal à l’aise ainsi d’apparaître en public, comme un monstre de foire. Ce qu’il veut, c’est jouer à sa propre cadence et enregistrer des albums. Ce qu’il continua de faire jusqu’à sa mort en 1982, à l’âge de 50 ans.
Mais si tout l’apparat et le talent de Gould ont marqué les esprits, qu’en était-il de sa vie proprement dite ? C’est ce que Calberac tente de nous montrer dans ce spectacle où il est plus question de l’homme que du musicien, même si on l’entend et le voit régulièrement jouer du piano. On le découvre à travers les deux femmes de sa vie : sa mère, surprotectrice et castratrice, l’éloignant du reste du monde pour le protéger des autres et de lui-même. Et une lointaine cousine, folle amoureuse de lui depuis leur adolescence et qui mit entre parenthèse sa propre existence pour vivre celle de son aimé trop célèbre et trop renfermé dans sa bulle et ses tourments.
Ode à la différence (les spécialistes s’entendent aujourd’hui pour dire que Gould était atteint du syndrome d’Asperger), histoire d’amour maternel, romance impossible, Glenn, naissance d’un prodige, est tout cela à la fois et bien plus encore, car de nombreuses scènes de comédie émaillent le récit, porté par six comédiens de talent. Josiane Stoleru que l’on ne présente plus, est odieuse en mère à la verve facile et capable de chantage affectif pour arriver à ses fins. Lison Pennec émeut en Jessie, cousine trop admirative et qui s’oublie au profit du musicien ombrageux. Quant à Thomas Gendronneau, il est parfait en Gould que l’on découvre à tous les âges, de l’enfance à la dernière heure. Outre sa ressemblance physique troublante, il impose un Glenn Gould que l’on aime et déteste à la fois et pour lequel on ne peut qu’avoir, finalement, de l’empathie. Il n’était pas responsable du tort qu’il pouvait causer, de ses emportements, de ses méninges peuplées de notes de musique. Au Petit Montparnasse, musique et théâtre font ainsi bon ménage et donnent envie de réécouter au plus vite les Variations Goldberg façon Glenn Gould. Les prodiges sont éternels.
Glenn, naissance d’un prodige, au Petit Montparnasse, 31 rue de la Gaité 75014 Paris. Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h.
