À bras le cœur !
Dans Main dans la main, Alexandre Oppecini écrit et met en scène une dramédie romantique autour de deux conceptions opposées de l’amour, à l’équilibre fragile. Un tango entre deux hommes, fougueux, drôle, émouvant et universel.
Paul est un gay bien dans sa peau, bien dans son époque. Il enchaîne les histoires sans lendemain, les coups d’un soir, branché en continu sur des applications de rencontres. L’amour, ce n’est pas son truc. La bagatelle a ses faveurs, pourvu qu’elle soit excitante, parfois alcoolisée et sous substances chimiques. Manu, lui, est Corse. Il fait partie de ces homosexuels invisibles. D’ailleurs, il n’assume absolument pas, ou peu, sa sexualité, hanté par la crainte de décevoir sa famille restée sur l’île de Beauté, plutôt conservatrice. Mais il rêve tout de même d’une belle histoire à deux, conventionnelle, hétéronormée en somme. L’un est extraverti, l’autre plutôt taiseux. L’un aime faire la fête et endormir ses émotions avec l’aide des endorphines. L’autre est plus solitaire, timide malgré sa virilité assumée et assurée. Ces deux-là n’auraient pas dû se rencontrer. Ou en tout cas, se revoir après une nuit débridée. Ni se revoir encore et encore. Entre eux, des sentiments vont naître et si Paul va en prendre peur, Manu, lui, va se jeter à cœur perdu dans cette histoire qu’il espère ne pas être à sens unique. Quitte à tout perdre.
Main dans la main est certes une romance homosexuelle, avec ses codes, ses références (la première scène relatant les commentaires d’utilisateurs de Grindr, application de rencontres gay, risque peut-être de mettre le public hétéro de côté), ses difficultés. Mais c’est surtout une histoire d’amour tout court, universelle. Une comédie romantique où affleure parfois le drame. Et qui montre que si les mentalités ont évolué, surtout depuis l’adoption du Mariage pour tous il y a dix ans, le chemin est encore long pour une acceptation totale des différences par la société française. Deux scènes en témoignent ici : le rejet d’une famille qui oblige à couper les ponts avec elle (mais pour mieux se libérer d’un carcan qui enracine et empêche d’être soi-même) et une scène d’homophobie et de violence, hélas ordinaire. Mais qu’on se détrompe, malgré les moments plus difficiles de l’histoire de ce couple qui croit ne pas en être un, l’humour est constamment présent, avec des répliques fortes qui fusent, cinglent, bousculent la bienséance sans toutefois se vautrer dans la vulgarité.
Paul et Manu ne veulent certes pas de la même chose, leurs corps disent tout le contraire. Ils sont aimantés, complémentaires, complices et leur alchimie n’est possible que parce qu’Alexandre Oppecini (que nous avions adoré dans T-Rex) a réuni au sein de sa mise en scène sobre et audacieuse, deux acteurs prodigieux. Fabien Ara rayonne en Paul toujours sur ses gardes, prêt à faire la fête à tout instant, à vivre trop vite plutôt que de vivre mal. Et Nathanaël Maïni, charismatique en diable, émeut en Corse monté à Paris pour s’épanouir et découvrir qui il est vraiment. Que l’on soit seul ou accompagné, Main dans la main donne du baume au cœur et invite à espérer à des lendemains qui enchantent.
Main dans la main, Théâtre du Marais (37 rue Volta 75003 Paris), les lundis et mardis à 19h30 jusqu’au 27 juin.
