À l’heure où l’antisémitisme fait de nouveau rage, il est plus qu’urgent de se réfugier au théâtre de la Comédie Bastille découvrir Les Téméraires autour de l’Affaire Dreyfus, mettant en parallèle deux grands hommes qui ont milité en parallèle pour faire éclater la vérité, Émile Zola et Georges Méliès.
L’année dernière, Didier Caron mettait en scène Zola l’infréquentable au théâtre de la Contrescarpe. On y suivait les joutes verbales entre deux écrivains que tout opposait : Zola donc, face à Léon Daudet. Deux visions du monde. L’une dreyfusarde, l’autre antisémitisme. Taraudée par cet antagonisme, la conscience humanitaire de l’auteur des Rougon Macquart l’a conduit à écrire le fameux J’accuse dans le journal L’Aurore tenu par Clemenceau. Mais depuis le 7 octobre 2023, rarement l’actualité aura aussi douloureusement collé avec le monde du spectacle. Si l’Affaire Dreyfus et ses torrents de boue et de haine n’ont jamais été oubliés (Polanski en a d’ailleurs signé le film J’accuse en 2019), elle s’anime actuellement et avec succès sur la scène de la Comédie Bastille, tandis que la violence antisémite résonne à quelques milliers de kilomètres de là et se répand de nouveau dans notre pays.
La pièce Les Téméraires de Julien Delpech et Alexandre Foulon parvient toutefois astucieusement à s’extraire de cette morosité ambiante. En retraçant certes une des périodes de notre Histoire parmi les plus sombres, celle d’une France divisée en deux sur l’innocence ou la culpabilité d’Alfred Dreyfus, soufflant sur la braise de haines qui ne demandaient qu’à s’embraser à nouveau. Mais en le faisant de manière légère, touchante, parfois drôle, toujours juste. Si la mise en scène lorgne du côté de ce qui se fait régulièrement, en un ballet typiquement Alexis Michalik, les événements décrits et l’interprétation balaient toutes les réserves que l’on pourrait avoir sur ce point.
On suit ainsi la trajectoire de deux hommes que personne reconnus à leur époque et toujours de nos jours : Émile Zola, ayant achevé ses Rougon Macquart, se jetant de manière éperdue dans l’Affaire Dreyfus, mais également confronté à sa double vie, puisque l’écrivain avait deux compagnes : son épouse officielle, son roc, sa conseillère, sa confidente et celle, cachée, à qui il a fait deux enfants. En parallèle, Georges Méliès qui décide d’utiliser le médium cinématographique (et son argent) dont il est l’un des fers de lance, pour réaliser un film sur la fameuse affaire et sensibiliser le public au destin du capitaine Dreyfus.
Certains faits sont connus, d’autres occultés, quelques autres réinventés afin de permettre une dramaturgie toujours plus fluide et enlevée. Mais cela fait du bien de les (re)découvrir pour montrer que tout espoir n’est jamais perdu, qu’il y a encore du bon dans l’Homme, même dans l’adversité. C’est là que l’émotion affleure, quand on comprend les sacrifices auxquels Zola et Méliès ont dû recourir pour porter leur vérité, leur message, l’un par l’écrit, l’autre par l’image, au service d’une seule et même cause. Voilà pourquoi Les Téméraires est un spectacle utile en plus d’être ludique. Il est le garant d’une mémoire qui mérite d’être plus que jamais célébrée.
Les Téméraires, Comédie Bastille – 5, rue Nicolas Appert 75011 Paris. Jusqu’au 30 juin 2024, les mercredis et vendredis à 19h, les jeudis et samedis à 21h, les dimanches à 17h.
(Partenariat => J’ai été invité mais ça ne change rien, j’ai vraiment adoré puisque je fais l’article à la suite :)