Rire à Tutu-tête ?
Si vous ne l’avez pas déjà vu ou si vous souhaitiez le revoir, bonne nouvelle ! Tutu est de retour et jusqu’au 11 décembre au Théâtre Libre. Philippe Lafeuille l’a rendu une nouvelle fois possible et ce depuis 2014 sans prendre une ride, avec son spectacle de génie atemporel qui parle à tous les âges. Rires de 7 à 77 ans jaillissent parmi le public, devant les pitreries et prouesses époustouflantes de ces danseurs qui, par leur maîtrise technique poussée du classique, des arts du cirque et de la gymnastique, sont capables de tout. Farce et ballet se côtoient grâce au grand talent des artistes complices de la troupe des Chicos Mambo, aussi sympathiques sur scène qu’ailleurs.
Les lumières de Dominique Mabileau cisèlent les corps dont chaque muscle est magnifié. L’esthétique émouvante d’une statuaire qui prend vie rappelle les travaux sur la décomposition du mouvement du début du XXème siècle. Elle la modernise en isolant des membres, protagonistes de tableaux rythmés, tantôt contemplatifs, tantôt malicieux, comme ces forêts de jambes animées d’un tango passionné ou ces mains, rosaces graphiques animées et en suspension. Le motif de la roue et des disques qui tournent revient sous plusieurs formes au long du spectacle.
L’onirisme accueille le public en ouverture de spectacle, sous la forme de la ballerine d’une boîte à musique. Les costumes très créatifs de Corinne Petitpierre tantôt dépouillés, tantôt déjantés, font corps avec les danseurs et l’esprit créatif d’une richesse étonnante de Philippe Lafeuille. Ainsi dans l’illusionnisme onirique du duo de la danseuse et de la fleur géante virevoltante dans les airs, dont le vol est rendu possible grâce aux jeux de lumière combinés avec les couleurs de costumes rendus pour partie invisibles.
L’air joue une grande place dans le spectacle. Le solo de l’ange fluide aux couleurs arc-en-ciel, sorte de derviche tourneur, contemporain et atemporel l’incarne. La flore aussi. Outre la forêt et les fleurs, les radis, carottes, navets poivrons et salades ne sont pas en reste, avec le tableau cocasse du potager. À l’image des sons bourdonnant qui s’en échappent, une énergie débordante et généreuse fuse souvent, comme dans l’euphorie de la valse latine et la chorégraphie des pompons. A l’image du tableau de l’équilibriste, le dosage est juste entre le comique pur et les tableaux plus oniriques.
Nous avions été conquises par le plus récent Car/Men. Fidèle au mélange des genres de son chorégraphe, Tutu ouvre les novices au classique et intègre des rythmes, des références contemporaines, électro et rap. Des onomatopées à la parodie du Lac des Cygnes, la commedia dell’arte a trouvé ses héritiers. Nous avons particulièrement été touchées par les solos. Les plus grands noms du classique et du moderne sont convoqués. David Guasgua M. ressuscite Joséphine Baker.
Outre son éclectisme Tutu questionne les stéréotypes, comme dans le magnifique tableau de la ballerine/boxeur. Ce message de tolérance montre la dualité de l’être humain, exprimée de manière intelligente, par les accords parfaits d’un corps dont les mouvements disent ce que les mots n’ont pas besoin de dire pour le public témoin de ce tableau sublime : la force ou la délicatesse n’ont pas de genre.
Petite enfance, force de l’âge de « l’homme d’affaire cravatté », grand âge… Les différentes saisons de la vie sont évoquées avec tendresse, humour et poésie. Un spectacle qui sonne juste d’un bout à l’autre de sa partition.
