Retour vers le futur !
Avec Le Voyage de Molière actuellement au Lucernaire, Jean-Philippe Daguerre termine en apothéose une année de consécration dédiée à Jean-Baptiste Poquelin. Une véritable déclaration d’amour à la fois à l’auteur du Misanthrope et au monde du théâtre, servie par une troupe soudée qui se donne sans compter.
La véritable star de l’année 2022, c’est lui, Molière. La commémoration des 400 ans de sa naissance n’est pas passée inaperçue : expositions, reportages et surtout quasiment tous les théâtres de France et de Navarre ou presque, qui y sont allés de leur hommage. Dernier en date, celui de Pierre-Olivier Sotto et Jean-Philippe Daguerre, les deux co-auteurs de ce Voyage de Molière. Leur amour pour l’oeuvre de Jean-Baptiste Poquelin leur a fait délaisser la guerre : celle d’Algérie pour Sotto (la sublime pièce Là-bas, de l’autre côté de l’eau) et la Seconde Guerre mondiale pour Daguerre (les plébiscitées Adieu M. Haffmann et Le Petit coiffeur). Pour mieux se concentrer sur la vie qui bouillonne sur la scène du Lucernaire, après leur succès de cet été au festival d’Avignon, à travers la troupe de Monsieur Molière en personne, qui apparaît comme par magie et nous invite à partager son quotidien, alors qu’elle ignore encore la gloire qui l’attend.
Mais pour faire sa connaissance, il faut accepter un petit tour de passe-passe. Celui que va expérimenter le jeune Léo, étudiant en médecine se rêvant comédien. Mais pétri de trac lors d’une audition, il va s’évanouir et se réveiller au 17e siècle, en compagnie de Madeleine et Geneviève Béjart, Gros-René, Marquise (déjà célébrée dans la pièce Aime comme Marquise) et évidemment, Molière en personne. Rien que ça ! Le choc des cultures n’aura cependant pas lieu. Léo va très vite s’adapter à cette troupe qu’il connaît par coeur et il sait qu’il ne faut pas lui révéler ce qui l’attend de peur de dévier sa trajectoire dans l’Histoire. Ici, les deux camps s’acceptent assez facilement : Léo va même leur apprendre Hey Jude des Beatles en « bon anglois » et ces comédiens en guenilles ou presque, le prennent sous leur aile pour l’aguerrir aux choses de la vie. Molière et les siens vont de déconvenue en déconvenue et sont au bord d’arrêter, mais Léo parvient à les galvaniser. Il le faut. Sans ses encouragements, qui sait si Jean-Baptiste Poquelin serait devenu le Molière qu’on encense encore de nos jours ?
Le Voyage de Molière est un spectacle virevoltant et bouillonnant. On vit littéralement avec cette troupe si attachante. Il y a du Capitaine Fracasse dans la mise en scène, avec ce décor en bois à la structure tournante. Les comédiens se font alors galériens de leur propre existence, tandis que deux d’entre eux s’échappent pour faire passer les vicissitudes en musique, au violon et au violoncelle. Et quand on se pose enfin, le décor se fait scène de théâtre, pour haranguer la foule, offrir des vers, de la bonne humeur, des doses d’émotions contradictoires, entre la joie de jouer et les petites rancoeurs qui subsistent en coulisses, les jalousies, les aspirations différentes. Le spectacle est, en tout cas, total. Cette troupe fait choeur et corps et s’en échappe Geoffrey Palisse, dans le rôle de Léo, quasiment omniprésent.
Cette année de célébrations s’achève donc de manière tonitruante, avec ce qui fait l’essence du théâtre de Molière : du partage, du plaisir, de la joie d’être là. Et les spectateurs de se retrouver embarqués dans cette grande aventure qui nous dépasse tous, celle de l’inspiration permanente. Molière est décidément immortel.
Le Voyage de Molière, au théâtre du Lucernaire, 53 rue de Notre-Dame-des Champs. Jusqu’au 8 janvier, du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 16h.
